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Le droit à l’aide à mourir ne doit pas occulter les carences du système de santé

Alors que l’Assemblée nationale examine une proposition de loi ouvrant un droit à l’aide à mourir, un consensus émerge sur un point essentiel : cette aide ne peut être envisagée qu’en dernier recours, lorsque toutes les souffrances – physiques comme psychiques – ont été prises en charge de manière adéquate. Dans un contexte où l’offre de soins palliatifs et de prise en charge de la douleur reste incomplète, cette loi appelle à une réflexion approfondie sur les conditions de sa mise en œuvre.

La discussion qui anime depuis hier l’assemblée nationale sur la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir (1) touche ce qu’il y a de plus intime en nous. Elle va interroger nos peurs primaires, nos attachements, nos systèmes de valeurs.
 Tant et si bien qu’il est difficile d’y apporter une réponse définitive. Définir un cadre est cependant nécessaire pour permettre à chacun d’évoluer de façon égalitaire et sécurisée. Une certitude ressort cependant de ces débats : une demande d’aide à mourir ne doit jamais être la conséquence d’un défaut d’accompagnement ou d’accès insuffisant à la prise en charge de la souffrance de la fin de vie. 

Car c’est uniquement à ces patients qu’est destinée cette proposition de loi. Dans le détail, elle propose que « l’aide à mourir puisse être demandée par toute personne majeure, capable d’exprimer sa volonté de manière libre et éclairée, atteinte d’une maladie grave et incurable, en phase avancée ou terminale, et dont le pronostic vital est engagé. » (lire ci-dessous)

Une volonté libre et éclairée ne peut exister sous l’empire de la douleur

Il est fondamental que chacun puisse se déterminer, y compris si cela doit conduire à la mort, dans les meilleures conditions possibles. Ce que seul le soulagement des souffrances physiques et psychologiques peut permettre. Une volonté libre et éclairée ne peut exister sous l’empire de la douleur. De nombreux témoignages de soignants recueillis par la Convention citoyenne sur la fin de vie (2) en faisaient le constat, comme celui de cette infirmière d’une unité de soins palliatifs restée anonyme : « La plupart des personnes demandant l’euthanasie en arrivant chez nous n’en parlent plus lorsqu’elles sont confortables. […] La réponse à cette souffrance ne devrait pas être l’euthanasie mais la formation au soulagement de la souffrance et à la culture palliative ».

Position identique pour la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD) qui prône « une évaluation systématique par une structure douleur chronique (SDC) (3) pour tous les patients demandant une aide médicale à mourir en raison de douleurs insupportables. »Pour la SFETD, le projet de loi sur la fin de vie offre l’opportunité de donner à la politique de lutte contre la douleur une nouvelle dimension.

La volonté, elle, est bien là. Elle est désormais bien ancrée dans la pratique médicale et inscrite dans la loi du 4 mars 2002, qui fait du soulagement de la douleur un droit fondamental du patient. Environ 300 centres d’évaluation et de traitement de la douleur existent en France, ce qui ne permet de prendre en charge qu’une fraction des patients concernés. En moyenne, un patient souffrant de douleur chronique attend cinq ans avant d’être orienté vers un centre spécialisé. Les délais d’attente pour une première consultation pouvant varier de 3 à 6 mois, selon les régions. Des délais dus à une demande croissante et à un nombre limité de professionnels spécialisés. La SFETD plaide pour la création d’un Diplôme d’Études Spécialisées (DES) en médecine de la douleur, afin de renforcer l’attractivité de la spécialité et d’améliorer la formation des professionnels.

Des besoins en hausse constante

De son côté, l’offre de soins palliatifs, qui a pourtant augmenté de 30% depuis 2015, ne suit pas. En 2024, la France comptait 168 Unités de Soins Palliatifs (USP). Par ailleurs, 909 établissements disposaient de Lits identifiés de soins palliatifs (LISP), avec un total de 5 551 lits. Insuffisante, cette offre est, de plus, inégalement répartie sur le territoire. En 2023, 22 départements ne disposaient pas d’USP, bien que des LISP soient présents dans la plupart de ces zones.

Les besoins, eux, ne cessent de croître, portés par une espérance de vie qui augmente. En 2023, environ 190 000 personnes étaient prises en charge en soins palliatifs, couvrant à peine 50 % des besoins estimés. Les projections démographiques estiment que 440 000 personnes seront concernées en 2035 .

C’est dire si les attentes qui pèsent sur la stratégie décennale 2024-2034 pour le développement des soins palliatifs en France sont grandes. Dotée d’un budget de 1,1 milliard d’euros, elle prévoit la création de 24 unités de soins palliatifs (USP) et de 460 lits hospitaliers supplémentaires d’ici 2034, ainsi qu’une unité de soins palliatifs pédiatriques par région.

La promesse de ces nouveaux lits ne doit pas occulter le décalage de 30 % entre les effectifs réels et le nombre de postes à pourvoir, déjà pointé en 2020 par le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Des chiffres qui ne progressent guère car la spécialité peine à séduire les étudiants en médecine. De fait, aucune chaire ou filière véritablement dédiée à la médecine palliative n’existe. Un manque qui, lui aussi, attend d’être comblé.

Ce n’est qu’à ce prix, celui du soulagement de la douleur, qu’un droit de l’aide à mourir pourra voir le jour sereinement .


Les principales dispositions du texte

La proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir  a été adoptée en commission des affaires sociales le 2 mai 2025, par 28 voix contre 15 et une abstention. (Photo Assemblée nationale)

L’aide à mourir pourrait être administrée par le patient lui-même (suicide assisté) ou, en cas d’incapacité, par un médecin ou un infirmier (euthanasie). Un amendement adopté en commission permet au patient de choisir entre l’auto-administration de la substance létale et son administration par un professionnel de santé .

Le texte prévoit également une clause de conscience pour les professionnels de santé, qui pourront refuser de participer à l’acte, à condition de rediriger le patient vers un confrère susceptible de l’accepter.


Accès aux soins psychologiques et psychiatriques :
un maillon trop souvent défaillant

Alors que les troubles psychiques peuvent intensifier la détresse en fin de vie, l’accès aux soins psychologiques et psychiatriques demeure, lui aussi, largement insuffisant en France. Selon les données du ministère de la Santé, près de 30 % des Français vivent dans des zones qualifiées de désert médical, y compris pour les professionnels de santé mentale. La pénurie de psychiatres s’aggrave : près de la moitié des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants, et les délais d’attente pour une consultation peuvent atteindre six mois, voire plus, en secteur public.

Le dispositif « Mon soutien psy », mis en place en 2022 et élargi en 2025, permet à tous les Français, y compris les mineurs dès 3 ans, d’accéder à jusqu’à 12 séances remboursées chez un psychologue, sans passer par leur médecin. Mais ce dispositif reste limité à des troubles légers à modérés, et ne peut répondre aux besoins des patients confrontés à une souffrance psychique sévère ou chronique, notamment en phase palliative.

(1) La proposition de loi n° 1100, déposée le 11 mars 2025, « proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir », en parallèle d’une autre proposition sur les soins palliatifs.Ce texte, porté par le député Olivier Falorni (MoDem), vise à instaurer un « droit à l’aide à mourir » pour les personnes majeures atteintes d’une affection grave et incurable, en phase avancée ou terminale, dont le pronostic vital est engagé. » Le texte a été adopté en commission des affaires sociales le 2 mai 2025, par 28 voix contre 15 et une abstention. Son examen en séance publique a débuté le 12 mai 2025. Un vote solennel prévu le 29 mai 2025. Si le texte est adopté, il sera ensuite examiné par le Sénat.

(2)  Organisée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) à la demande du gouvernement, la convention citoyenne sur la fin de vie s’est déroulée de décembre 2022 à avril 2023. Elle réunissait 184 citoyens tirés au sort.

(3) La prise en charge de la douleur chronique repose sur un réseau de structures spécialisées, les Structures Douleur Chronique (SDC), comprenant des consultations et des centres labellisés par les Agences régionales de santé (ARS). Par exemple, la région Hauts-de-France dispose de 23 structures, dont huit centres et quinze consultations. Ces structures offrent une approche pluridisciplinaire, impliquant médecins, infirmiers et psychologues, et proposent des traitements variés, allant des antalgiques aux thérapies non médicamenteuses telles que l’hypnose ou la neurostimulation . 

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