Consommation

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Mode de seconde main : le remède pire que le mal ?

En quelques années, la vente de vêtements d’occasion sur internet a explosé. Une pratique qui se veut vertueuse, mais qui se révèle être une fausse bonne idée pour lutter contre la surconsommation de vêtements.

Des monceaux et des monceaux de vêtements produits chaque jour au point de transformer ces objets de notre quotidien en cauchemar pour la planète. Le constat est sans appel : l’industrie textile est responsable d’environ 8 à 10 % des émissions mondiales de CO₂, soit plus que les vols internationaux et le transport maritime réunis.
 À cela, s’ajoute chaque année une consommation massive d’eau et de pesticides pour produire des matériaux synthétiques comme le polyester et, à l’arrivée, des millions de tonnes de déchets à traiter. L’essor des plateformes numériques vient alourdir la note environnementale, en génèrant des émissions dues au transport et à l’emballage des articles vendus. Sans parler des inextricables problèmes posés par le recyclage de tous ces vêtements une fois jetés (1). Et bien sûr des conditions de production déplorables sur les plans humain et social.

Certes, des solutions existent pour nous habiller de façon responsable, mais le passage à l’acte n’est pas si simple. Car en matière de budget, vouloir ne signifie pas toujours pouvoir. Le développement fulgurant de la fast fashion et de ses prix bas est l’une des conséquences des arbitrages réalisés par de nombreuses personnes au pouvoir d’achat en berne.

Comment en est-on arrivé là ?

Il faut dire que le secteur a des leviers puissants : des collections renouvelées très fréquemment, parfois plusieurs fois par semaine, une production en masse de vêtements couplée à l’utilisation de matériaux bon marché et de qualité médiocre qui permettent de tirer les prix vers le bas. En Europe, le concept a émergé dans les années 1990 avec l’implantation de marques comme Zara et H&M. Vingt ans plus tard, les deux enseignes ouvrent leurs boutiques en ligne aux consommateurs français qui découvrent les achats sur internet.

La fast fashion est l’un des secteurs les plus polluants au monde, responsable à elle seule de près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre et d’une surproduction massive de vêtements jetés après quelques utilisations. (Photo Muhammad Amdad)

Ces réussites aiguisent les appétits du côté de la Chine. Shein, lancé à l’international en 2015, et Temu, en 2022, bouleversent le secteur de la mode en ligne en misant sur des prix ultra-compétitifs, une logistique rapide depuis la Chine et une stratégie 100 % digitale.

La généralisation de l’utilisation des smartphones et les confinements de la crise Covid font le reste. La croissance des géants chinois est exponentielle. Selon une étude de Circana (2), Shein est l’enseigne de mode où les Français ont le plus dépensé en 2024. Cette même année, Shein et Temu ont réalisé un chiffre d’affaires combiné de 2,2 milliards d’euros en France, en hausse de 18 % par rapport à l’année précédente. Leurs produits représentaient ensemble 22 % des colis traités par La Poste en France, dépassant Amazon.

Au niveau mondial, les chiffres sont vertigineux. En 2022, le marché mondial de la fast fashion a généré environ 106 milliards de dollars. Ce chiffre devrait dépasser les 136 milliards de dollars pour 2024, reflétant une croissance soutenue du secteur qui représente plus de 100 milliards d’articles de mode vendus chaque année.

Face à ce monstre de consommation, la résistance s’organise, notamment sous la forme du marché de seconde main. Une approche plus pragmatique et durable de la mode en plein essor. Conscience écologique, pouvoir d’achat en berne ou accès à des articles de marques haut de gamme à moindre coût… en 2021, 91 % des Français ont acheté des produits d’occasion au moins une fois.

Effets pervers

Mais cette démarche vertueuse a pris une telle ampleur qu’on ne peut plus désormais en ignorer les effets pervers. Portée par des plateformes comme Vinted, Leboncoin ou Vestiaire Collective, elle grignote des parts de marché à l’industrie de la fast fashion avec une telle voracité (12% du marché français en 2021), que les grands noms de cette mode jetable, à l’instar de Zara Pre-owned ou H&M Resell, lancent leurs propres filières de seconde main pour rester compétitifs. Les consommateurs eux-mêmes mettent en vente leurs vêtements achetés à bas coût, alimentant les sites qui mettent en relation les particuliers. 

Vinted : leader du marché de la seconde main
En 2023, Vinted a atteint la rentabilité, avec une augmentation de 61 % de son chiffre d’affaires, atteignant 596 millions d’euros.
La plateforme compte plus de 100 millions d’utilisateurs répartis dans 22 pays, dont la France, les États-Unis et le Canada, consolidant sa position de leader sur le marché de la seconde principale.
En France, Vinted représente 9 % des ventes de mode et 60 % de celles de la seconde principale, surpassant des concurrents comme Leboncoin.

Et voilà que la machine s’emballe et donne naissance à un monstre à deux têtes, la “fast-fashion de seconde main” qui réunit tous les défauts des deux pratiques. 

La France pionnière de la lutte anti-fast fashion

Comment enrayer cette machine folle ? Se reposer sur la seule responsabilité du consommateur n’aurait aucun sens et serait même parfaitement injuste. Un premier levier pourrait bientôt être activé pour amoindrir le flot de fast-fashion. Il prendrait  la forme du rétablissement des droits de douanes pour les colis importés d’une valeur inférieure à 150 euros dans l’Union européenne. Car aussi surprenant que cela puisse paraître, ils sont actuellement exonérés de droits de douane. Une aubaine pour des plateformes comme Shein et Temu qui peuvent ainsi expédier massivement des produits à bas prix depuis la Chine vers les consommateurs européens. En 2024, environ 4,6 milliards de colis de faible valeur sont entrés dans l’UE, dont 91 % provenaient de Chine. ​Seul hic de cette initiative prometteuse : son calendrier. La suppression de l’exonération de ces droits de douane est prévue pour….2028. Une date bien trop lointaine pour certains pays, comme la France qui a proposé l’introduction de frais de traitement dès 2025 pour les colis de faible valeur, afin de renforcer les contrôles douaniers et de protéger les consommateurs contre les produits non conformes.

Avec sa proposition de loi adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2024, la France s’apprête à devenir le premier pays au monde à encadrer juridiquement la fast fashion. Le texte, actuellement en discussion au Sénat, prévoit une éco-contribution punitive, l’encadrement de la publicité, et une définition légale inédite de la mode éphémère. Une démarche avant-gardiste saluée par les ONG environnementales et observée de près à Bruxelles. En agissant ainsi, la France pourrait bien devenir précurseur d’une nouvelle régulation textile à l’échelle du continent. 

Reste à espérer que le texte ne sera pas vidé de sa substance. En attendant de voir ce qu’il en sera, on se prend à espérer une fiscalité agressive qui limiterait au maximum l’importation de produits de basse qualité. On fait le rêve d’une relocalisation de l’industrie textile qui fabriquerait des produits, certes plus chers car fabriqués par des salariés aux conditions de travail décentes par rapport à l’Asie, mais aussi de meilleure qualité, donc durables.

  (1) A découvrir sur ce sujet l’édifiante émission Sur le front, La face cachée du recyclage.

(2) Circana est un cabinet international spécialisé dans la collecte et l’analyse de données sur les comportements d’achat des consommateurs.

Et nous, que pouvons-nous faire ?

Comparez l’impact carbone des vêtements entre eux

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