Oui à l’écologie punitive, non à l’écologie culpabilisante
“Quoi, tu utilises des couches jetables !” Face au reproche de son amie, la jeune maman a la mine déconfite. Elle se demande tout de même si elle ne va pas trouver un sursaut d’énergie pour mettre la tête de sa copine dans le sac poubelle contenant près de trente couches, soit deux jours d’utilisation seulement pour ses jumeaux. Bien sûr, elle est parfaitement consciente que sa manière de faire est une aberration écologique. Il faut beaucoup d’eau pour produire une couche et sa composition, à base de plastique et donc de pétrole, peut s’avérer dangereuse pour son enfant en raison de la présence de glyphosate ou de certaines lotions et parfums. Après utilisation, une couche peut mettre jusqu’à cinq siècles pour se dégrader en décharge. Il en faudra entre 4000 et 6000 par enfant avant qu’il ne soit propre. Si l’on rajoute les 1000 à 2500 euros que cela coûte par bébé, le tableau de l’irresponsabilité de la maman est complet. Accusée, levez-vous…
Il manque cependant une donnée essentielle à cette démonstration : l’indispensable besoin de pragmatisme face aux tâches du quotidien, qui jouera rarement en faveur de l’environnement. Tout simplement parce que la maman a beau retourner le pour et le contre dans sa tête, elle ne voit pas très bien quand elle aurait la possibilité de laver autant de couches réutilisables, en plus des bodies, des bavoirs, du temps passé à allaiter ou à donner les biberons, les bains, à faire le ménage entre deux… Bref, même avec l’aide de son mari, forcément limitée depuis qu’il a repris le travail après un arrêt bien trop court, elle ne sait pas comment elle pourrait faire. Sauf à retirer encore une heure au peu de temps de sommeil qui lui reste. La fatigue, trop de fatigue. Et cette nécessité d’être d’humeur égale pour lancer au mieux ses deux petits dans la vie.
Une amie, encore une, lui a conseillé une autre solution : les couches jetables respectueuses de l’environnement. Fabriquées avec des matériaux biodégradables et sans produits chimiques nocifs, elles paraissent idéales. Mais elles sont nettement plus coûteuses, même si l’écart tend à se réduire. Hors budget donc. A l’arrivée, la maman continuera avec ses couches jetables classiques, comme 97% des parents. Et peut-on réellement la blâmer ?
Seule la gestion globale, la fameuse « écologie punitive » peut ralentir
la vitesse avec laquelle nous fonçons dans le mur sur le plan écologique.
Il ne reste plus grand monde dans nos sociétés, quand bien même l’obscurantisme fait un retour fracassant des deux côtés de l’Atlantique, pour penser que l’on peut continuer à faire n’importe quoi avec notre planète. Mais il en est beaucoup pour qui les bonnes pratiques environnementales ne sont pas une priorité. Ils aimeraient probablement s’en soucier, mais n’ont tout simplement pas les moyens de le faire. Ceux qui roulent avec les véhicules les plus polluants n’ont pas les moyens d’en changer. Ceux qui vivent dans des passoires énergétiques et ne font pas les travaux nécessaires n’ont pas plus d’argent pour les réaliser. La moindre visite dans un pays dit pudiquement « en voie de développement » montre un laisser-aller dans les attitudes qui dépasse de loin le seul fait de ne pas avoir les infrastructures adéquates. Lorsque l’on manque de beaucoup de choses, à commencer par l’argent, l’environnement est loin d’être une priorité. Là encore, cela s’entend.
Vient donc la question de la responsabilité individuelle. Il paraît évident que celui qui a la chance d’être éduqué et d’avoir les moyens de vivre correctement devrait tout faire pour limiter ses déchets et sa production de CO2. En d’autres termes, sa consommation. Ce qui sous-entend une sacrée dose de bonne volonté. Indispensable, mais bien loin d’être suffisant pour la planète.
Seule la gestion globale, la fameuse « écologie punitive » peut ralentir la vitesse avec laquelle nous fonçons dans le mur sur le plan écologique. Les couches jetables polluent ? Interdisons-les dans six mois. Les industriels auront tôt fait de modifier leurs immenses lignes de production pour produire du biodégradable. Et la production devenue massive fera baisser les prix. Il n’est pas interdit non plus de penser que les couches lavables deviennent, à terme, plus pratiques à utiliser.
Une société est obligée d’interdire, de dire, science à l’appui, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas.
La société actuelle a cela d’extraordinaire qu’elle autorise la production de marchandises dangereuses pour la nature et pour l’homme, et qu’elle en renvoie la responsabilité sur le consommateur. Une société qui fonctionne est censée protéger la population qu’elle gère et les ressources qui la font vivre. Pour ce faire, elle est obligée d’interdire, de dire, science à l’appui, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Bref, de créer des règles, des normes, d’imposer à tous la bonne manière de gérer la planète et les devoirs de ceux qui l’occupent. Tant pis si de nombreuses personnes pensent que c’est liberticide. Car ce sont les mêmes qui veulent tout déréguler, à commencer par le travail, en laissant le plus grand nombre hors de portée du bon geste écologique. Ceux-là même qui roulent probablement en Tesla.
Et dont les descendants seront les plus vindicatifs à demander des comptes aux dirigeants de leur époque au nom de « ceux qui, en leur temps, n’ont rien fait alors que tout le monde savait »