Économie

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Peut-on en finir avec le chantage des agences de notation ?

Trois géants privés dictent la politique des États et imposent leur vision de la « bonne économie ». Un diktat dont la gauche de la gauche ne veut plus, propositions à l’appui.

On a fini par s’y habituer, presque sans s’en rendre compte. Une agence américaine publie un communiqué et soudain un gouvernement accélère l’austérité, renonce à une réforme sociale, suspend un investissement public ou repousse une mesure pourtant promise pendant la précédente campagne. Officiellement, les agences de notation ne font qu’évaluer le risque de défaut des États. Dans la réalité, elles se permettent de juger leurs choix politiques et d’infléchir leur trajectoire.

Ce pouvoir colossal n’a jamais été confié démocratiquement à personne. Il est né dans les salles de marché, puis s’est imposé comme une évidence. Lorsqu’un État reçoit une mauvaise note, le coût de son endettement augmente et les marges de manœuvre se réduisent. Les dirigeants, quelle que soit leur couleur politique, s’empressent de « rassurer les marchés » et se couchent devant l’orthodoxie budgétaire. La mécanique est parfaitement huilée : un avertissement, une dégradation et les politiques publiques se retrouvent calibrées non pas pour répondre aux besoins de la population, mais pour satisfaire Moody’s, Fitch ou Standard & Poor’s.

La note comme instrument politique

On connaît les arguments classiques : une mauvaise note rend l’emprunt plus cher, fragilise la confiance, peut entraîner des sorties de capitaux. Ce discours masque pourtant une réalité bien plus politique. Des recherches menées par les Nations unies montrent que les notations souveraines comportent une part importante de jugement subjectif, notamment sur la « crédibilité » des politiques économiques ou sur la « volonté » d’un gouvernement à appliquer la discipline budgétaire 1.

Autrement dit, un État qui augmente les salaires, relance les services publics ou investit massivement dans la transition écologique n’est pas seulement évalué sur ses chiffres mais sur sa conformité idéologique à un modèle économique libéral. Les agences le reconnaissent d’ailleurs implicitement lorsqu’elles justifient leurs dégradations par l’« orientation » des politiques ou par le « manque de réformes structurelles ».

Comme l’explique le chercheur Ben Paudyn, dans une étude de la London School of Economics 2, ces notations « normalisent » une certaine vision de ce qu’est un bon gouvernement et poussent les États à adopter la même feuille de route, à savoir réduire les dépenses, flexibiliser, privatiser et contenir l’État social.

C’est exactement ce qui explique qu’en France, chaque dégradation réelle ou anticipée déclenche les mêmes réflexes : compression budgétaire, recul de réformes sociales pourtant nécessaires… De plus en plus souvent résonne cette phrase devenue un mantra politique : « On n’a pas le choix ».

Quand des groupes financiers dictent la ligne

Il faut aussi rappeler à quel point ces agences sont liées à des intérêts privés. Elles appartiennent à de grands fonds d’investissement, sont rémunérées par les acteurs financiers et ont été directement impliquées dans la crise de 2008 en attribuant des notes maximales à des produits toxiques. Malgré plusieurs rapports accablants, elles ont conservé leur monopole de fait.

Cette situation crée un paradoxe vertigineux. Les gouvernements élus reçoivent leurs instructions d’acteurs qui n’ont aucun mandat, aucune légitimité démocratique et aucun intérêt à promouvoir l’investissement public, la redistribution ou les services publics. Les agences sanctionnent même les pays qui tentent de sortir des logiques de marché.

Rompre la dépendance : le projet de la gauche radicale

C’est cette machine-là que veulent démonter les forces de gauche radicale, notamment le PCF et La France insoumise. Elles ne se contentent pas de critiquer les agences. Elles proposent une alternative : réduire la dépendance de l’État aux marchés financiers en créant un véritable service public bancaire capable de financer les investissements stratégiques sans passer par ceux qui notent et sanctionnent.

Dans son ouvrage Le parti pris du travail, Fabien Roussel développe l’idée d’un pôle public bancaire articulé autour de plusieurs institutions existantes, auxquelles s’ajouterait une grande banque publique de développement. L’objectif est clair : reprendre la main sur le crédit, orienter l’argent vers l’emploi, l’industrie, la transition écologique et les services publics plutôt que de laisser les marchés décider.

Dans la logique développée par le PCF, ce pôle public ne serait pas une structure opaque ou technocratique mais un outil démocratique. Il serait piloté par des représentants de l’État, des salariés, des collectivités locales et des citoyens, avec l’obligation de rendre des comptes et de financer des projets d’intérêt général. LFI défend une vision similaire, centrée sur une grande banque publique d’investissement capable de prêter à taux très faible, voire nul, pour des projets prioritaires. Elle« mobilisera le crédit pour financer la bifurcation sociale et écologique ».  Là encore, cette banque publique serait sous contrôle citoyen, orientée vers l’intérêt général et permettrait de désengager l’État de la dépendance aux marchés financiers.

Dans les deux cas, l’objectif est identique : sortir de la logique selon laquelle un État doit emprunter sur les marchés pour financer son propre avenir. En réduisant cette dépendance, les politiques publiques seraient de nouveau orientées par les besoins du pays et non par la menace permanente d’une dégradation.

Le véritable enjeu : la souveraineté démocratique

À travers les agences de notation, ce sont en réalité les choix de société des peuples qui se retrouvent sous tutelle. Peut-on renforcer l’hôpital public malgré les pressions des marchés ? Peut-on investir massivement dans la transition écologique si cela augmente la dépense à court terme ? Peut-on repenser la fiscalité, l’industrie ou l’agriculture sans craindre une sanction immédiate ?

Pour la gauche radicale, la réponse doit être oui. Mais cela suppose d’affronter la racine du problème : la financiarisation du financement public et l’externalisation des décisions stratégiques à des acteurs qui n’ont aucun compte à rendre. Le service public bancaire n’est pas une simple mesure technique. C’est une proposition de reconquête démocratique.

Notes
 1 – United Nations DESA, Credit Rating Agencies and Sovereign Debt, 2023.
 2 – Paudyn, Ben, London School of Economics, Credit rating agencies and the sovereign debt crisis, 2014.


Comment fonctionnerait un véritable service public bancaire ?

L’idée est simple : créer un pôle bancaire public réunissant des institutions déjà existantes, comme la Banque Postale, Bpifrance ou la Caisse des dépôts et consignations, et y ajouter une banque publique de développement directement contrôlée par une gouvernance démocratique. Cette gouvernance serait composée d’élus, de représentants des salariés, de syndicats, d’associations et de citoyens afin de garantir la transparence et l’orientation des crédits vers des priorités sociales, écologiques et industrielles.

Ce pôle pourrait financer l’État, les collectivités et les entreprises stratégiques à long terme, sans exiger les rendements élevés attendus par les marchés privés. Il constituerait une alternative crédible aux emprunts obligataires, réduisant drastiquement le pouvoir des agences de notation.

Ce modèle existe déjà en partie dans plusieurs pays, mais il est fragmenté. La proposition de la gauche radicale vise à le consolider, l’unifier et l’orienter autour d’une mission centrale : financer l’avenir du pays en fonction de ses besoins réels, et non des humeurs des marchés.

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