Éditos

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Pourquoi le Téléthon et les Restos du cœur ne devraient pas exister

Ou quand la charité sert d’alibi à un État qui se défausse.

Il faudrait peut-être commencer par rappeler une évidence : dans une société décente, le Téléthon n’aurait aucune raison d’être. Pas plus que les Restos du Cœur que Coluche espérait voir disparaître « au bout de deux ou trois hivers ». Ces monuments de générosité populaire, devenus au fil des ans des institutions quasi sacrées, ne sont en réalité que les symptômes éclatants d’un État qui a abandonné ses missions essentielles. Et nous, émus devant nos écrans, la larme à l’œil et la main sur le portefeuille, nous finissons par trouver normal que la recherche médicale soit financée par des tombolas géantes et que la lutte contre la faim dépende de collectes organisées dans des supermarchés.

Ce qui devrait nous révolter passe désormais pour une fête nationale. On se félicite d’un record de dons, on applaudit la mobilisation, on s’émerveille de la solidarité des Français. Oui, bien sûr, ces gens qui donnent sont admirables : ils consacrent du temps, de l’argent, de l’énergie pour aider des inconnus. Ils pallient, comme ils peuvent, des injustices qu’ils n’ont pas créées. Mais faut-il vraiment rappeler que dans une démocratie riche, ces injustices ne devraient même pas exister ? Que financer la recherche médicale ou garantir le droit fondamental de se nourrir ne relèvent pas du bénévolat, mais de la responsabilité publique ?

C’est toujours la même histoire : l’État s’efface, les associations compensent, les citoyens paient la facture. Ceux qui en ont les moyens, les grandes fortunes, les entreprises, les multinationales s’offrent au passage une image de bienfaiteurs, entre deux optimisations fiscales. Car il ne faut pas être naïf : la charité, dans notre modèle économique, est aussi une affaire de communication et parfois de déduction d’impôts. Un moyen d’acheter une bonne conscience à peu de frais, tout en laissant intact un système qui protège les puissants et écrase les plus fragiles.

Pendant ce temps, on remercie chaleureusement celles et ceux qui organisent des marathons télévisés pour que des enfants malades puissent espérer un traitement. On s’enthousiasme pour des défis sportifs censés financer ce que les budgets publics n’assument plus. Nous sommes devenus une société où l’État regarde ailleurs pendant que la solidarité tente de colmater les brèches, une société où l’injustice est traitée comme une fatalité et la générosité comme un palliatif suffisant.

La question n’est pas de juger la bonté des gens : elle est réelle, incontestable, souvent bouleversante. La question est de savoir pourquoi ils doivent se substituer à un gouvernement censé garantir l’égalité et l’accès universel aux soins. Dans un monde idéal, le Téléthon existerait peut-être encore, mais pour offrir des cadeaux de Noël aux enfants hospitalisés, pas pour financer des décennies de recherche. Les Restos du Cœur existeraient peut-être encore, mais pour aider très ponctuellement des familles en grande difficulté, pas pour nourrir chaque année des millions de personnes dans la sixième puissance mondiale.

Remettre en question la charité, ce n’est pas remettre en cause la générosité ; c’est remettre en cause un système qui l’utilise pour masquer ses défaillances. Tant que nous applaudirons sans broncher ces élans de solidarité nécessaires uniquement parce que l’État a abandonné son rôle, nous continuerons à faire tourner une machine inégalitaire, dure avec les faibles et étrangement douce avec les puissants.

Il est temps de le dire clairement : tant que le Téléthon et les Restos du Cœur seront indispensables, c’est que notre société restera profondément malade. Et ce n’est pas la charité qu’il faut soigner, mais l’État lui-même.

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