Éditos

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Sarkozy, le martyr imaginaire d’une démocratie en lambeaux 

Il faut avoir le cœur bien accroché pour assister au spectacle. Nicolas Sarkozy, condamné définitivement par la justice française, ayant purgé vingt jours de prison ferme dans une affaire de corruption et de trafic d’influence, fait aujourd’hui une tournée triomphale pour vendre sonJournal d’un prisonnier. Dans le XVIe arrondissement, à Cannes, à Menton où son fils tente de faire main-basse sur la ville, on l’acclame. On pleure. On l’embrasse. On lui dit qu’il « manque à la France ». Café serré, mignardises sucrées et révérence collective. La scène est obscène, mais elle est révélatrice.

Car ce n’est pas seulement un ancien président qui dédicace un livre. C’est un homme reconnu coupable par la justice de son pays qui est célébré comme un héros persécuté. Un homme dont la carrière est jalonnée de violences symboliques, de mépris social assumé, de phrases qui ont durablement sali le débat public. Un homme qui a incarné, plus que tout autre, la présidence des inégalités, de la brutalité sociale et du cynisme politique. Et pourtant, une partie du public l’admire encore, comme si la condamnation judiciaire renforçait son aura.

Écouter les témoignages recueillis dans Nice-Matin hier donne le vertige. Une octogénaire en larmes. Un jeune commercial qui parle de « dernier grand homme d’État ». Des soutiens qui expliquent qu’on « ne devrait pas mettre un ancien président en prison ». La justice devient une offense. La condamnation, une humiliation nationale. Le condamné, une victime.

C’est là que tout se renverse. Dans ce récit, les juges deviennent suspects aux yeux de l’opinion et le coupable devient martyr. Exactement le mécanisme que l’extrême droite utilise depuis des années. Exactement la rhétorique de Marine Le Pen lorsqu’elle explique être « harcelée » par la justice. Exactement ce poison lent qui dissout l’État de droit dans l’opinion publique.

Le président qui a légitimé la violence politique

Nicolas Sarkozy n’est pas un homme politique parmi d’autres. Il est celui qui a fait sauter des verrous. Celui qui a rendu admissible ce qui ne l’était pas. Le « karcher » pour parler des quartiers populaires. Le « casse-toi, pauvre con » lancé à un citoyen, comme on crache sur un trottoir. Cette brutalité n’était pas un dérapage, elle était une méthode.

À l’inverse, lors des émeutes de 2005, Jacques Chirac – qu’on ne peut pourtant pas soupçonner de radicalité progressiste – rappelait que ces jeunes étaient « des enfants de la République » et qu’ils faisaient « pleinement partie de la communauté nationale ». Deux visions. Deux conceptions du pouvoir. Deux héritages. Celui de Chirac cherchait à maintenir un cadre. Celui de Sarkozy l’a fissuré.

Ce que Sarkozy a banalisé en France, d’autres l’ont poussé à son paroxysme ailleurs. Donald Trump n’est pas une anomalie surgie du néant. Il est le produit d’un long affaissement démocratique. Il y a vingt-cinq ans, un président américain a failli être destitué pour avoir menti sur une relation sexuelle consentie. Aujourd’hui, un autre a encouragé l’assaut du Capitole et continue sa carrière politique comme si de rien n’était.

Trump fait pression sur les États, menace, marchande, instrumentalise la paix comme une opportunité d’affaires, y compris via son propre entourage familial. Il transforme la fonction politique en levier commercial. Il n’est plus un chef d’État, mais un affairiste global sous immunité politique. Et pendant ce temps, les démocraties plient, une à une, face aux nouveaux autocrates, fascinées par leur brutalité, tétanisées par leur capacité de nuisance.

Sarkozy appartient à cette même famille politique. Celle qui joue avec la loi. Celle qui teste jusqu’où elle peut aller trop loin. Celle qui habitue l’opinion à l’inacceptable, jusqu’à ce que plus rien ne choque. En ce sens, il a préparé le terrain. Il a rendu fréquentable l’idée qu’un dirigeant puisse être au-dessus des règles. Il a contribué à cette culture de la peur et du ressentiment qui transforme des responsables politiques en faux martyrs.

Et ce n’est pas un hasard si, dans son livre, Nicolas Sarkozy explique désormais que le Rassemblement national appartient à « l’arc républicain ». Ce n’est pas une dérive tardive. C’est l’aboutissement logique de son œuvre. Politique, d’abord. Littéraire, ensuite. Un pays qui applaudit un condamné pour corruption est un pays mûr pour tomber dans les bras de l’extrême droite.

En ce sens, Nicolas Sarkozy aura réussi son œuvre, au sens propre comme au sens littéraire.

(Photo DR – CC)

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