Shein et la fast-fashion : autopsie d’un modèle toxique
Valorisé à près de 60 milliards d’euros, ce mastodonte numérique vend l’illusion d’une mode accessible, mais ses dessous sont ceux d’un désastre global.
Prix cassés, planète bradée. Le géant chinois de l’ultra fast-fashion, Shein, prospère sur un modèle économique qui sacrifie tout : les travailleurs, l’environnement, la santé publique et les principes les plus élémentaires de justice sociale. Dans les coulisses des milliers de nouveautés publiées chaque jour sur la plateforme, ce sont des cadences infernales qui s’imposent à des ouvriers surexploités. Selon l’ONG suisse Public Eye, les conditions de travail dans les usines de Shein sont inhumaines : 75 heures par semaine pour des salaires de misère dans des ateliers où la sécurité est une variable d’ajustement. Des témoignages d’employés relayés sur les réseaux sociaux dénoncent un système de sous-traitance opaque et brutal dans lequel les intérimaires s’épuisent dans l’indifférence générale. À l’autre bout de la chaîne logistique, la mode « jetable » de Shein a un prix humain, trop souvent invisibilisé.
Des salariés exploités et des vêtements… dangereux
Derrière les tissus bon marché, plane l’ombre du travail forcé dans la région du Xinjiang, théâtre de persécutions à l’encontre de la minorité ouïghoure. Nombre de marques de mode, Shein incluse, sont suspectées de s’approvisionner en coton issu de cette région, via des circuits volontairement obscurs. Shein incarne l’absurdité environnementale de l’ultra-fast fashion. Jusqu’à 6 000 nouveaux modèles mis en ligne chaque jour : un chiffre qui donne le vertige. Ce flux continu alimente une consommation frénétique, dont les déchets se déversent dans les décharges du Sud global.
Pollution, déforestation, émissions massives de CO₂ : Shein est une caricature de la mode linéaire et toxique. L’entreprise prétend vouloir réduire ses émissions de 25 % d’ici 2030, mais continue d’industrialiser le court-termisme textile, sans autre cap que le profit.
Les vêtements Shein ne nuisent pas qu’à l’environnement ou aux travailleurs : ils exposent aussi les consommateurs à des substances nocives. Un rapport de Greenpeace révèle que 32 % des habits testés contiennent des produits chimiques dangereux à des concentrations bien au-delà des normes européennes. Phtalates perturbateurs endocriniens, formaldéhyde cancérigène : porter Shein, c’est aussi courir un risque sanitaire, en particulier pour les enfants. Derrière le look « tendance », un cocktail invisible mais toxique, que peu de consommateurs soupçonnent.
Une concurrence déloyale qui étouffe le local
Sur le plan de la concurrence, Shein bénéficie aussi d’un avantage logistique décisif : l’exemption de droits de douane pour les colis de moins de 150 €. Cette niche fiscale, conçue pour les petits vendeurs, a été détournée à grande échelle. Résultat : des livraisons low-cost qui écrasent les acteurs européens soumis à des règles bien plus strictes.
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Face à cette inégalité flagrante, Bruxelles commence à réagir : fin de l’exonération envisagée, enquête en cours et classement de Shein parmi les très grandes plateformes numériques (VLOP) qui sont sous surveillance renforcée. Ces mesures, à l’image de la taxe de 2 euros qui pourrait être votée par le parlement européen, semblent pourtant bien dérisoires. Ces frais supplémentaires seront sûrement payées par le consommateur comme c’est actuellement le cas avec les droits de douane de 120% imposés par les États-Unis.
Lobbying : la machine à blanchir les scandales
Mais là où Shein excelle, c’est dans l’art d’étouffer les critiques par le lobbying. L’entreprise a au moins fait un pas vers le recyclage en recrutant d’anciens politiques de premier plan qui risquaient de tomber dans l’oubli. Une équipe de choc composée d’anciens ministres, commissaires européens et hauts fonctionnaires. Christophe Castaner, Günther Oettinger, Nicole Guedj… tous mobilisés pour faire passer les intérêts d’une entreprise étrangère avant l’intérêt général.
Shein ne se contente pas d’influencer les décisions : elle déstructure la démocratie économique en injectant ses éléments de langage au cœur du débat public, en confisquant la parole politique au profit d’intérêts privés. Lorsqu’un ex-ministre français, en l’occurrence Christophe Castaner, qualifie de « dégueulasse » une proposition de loi défendue par les parlementaires pour taxer la fast-fashion, il ne s’agit plus de simple lobbying : c’est une capture du politique par le marché, une démission éthique, un brouillage volontaire des lignes entre communication d’entreprise et discours républicain. Ce lobbying est la face cachée du modèle Shein : ce n’est pas un accident, mais un pilier stratégique, un outil de domination, une manière d’acheter du temps pour continuer à polluer, exploiter et vendre toujours plus vite. En réaction, deux associations, Les Amis de la Terre France et l’Observatoire des multinationales, ont saisi la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour essayer de mettre fin à ces discours insensés.
Le miroir d’un système à bout de souffle
Shein ne fait pas qu’illustrer les excès d’une entreprise. Il est le symptôme d’un système. Celui d’un capitalisme mondialisé qui délocalise, pollue, exploite et maquille ses abus derrière un storytelling d’innovation et d’accessibilité. Celui d’une économie linéaire où produire toujours plus et toujours moins cher passe avant tout le reste. Face à ce rouleau compresseur, la régulation reste timide, le consumérisme tenace, et l’alternative encore marginale. Pourtant, une rupture s’impose. La vraie question n’est pas « Shein peut-elle changer ? » mais « Jusqu’à quand allons-nous cautionner un modèle fondé sur la destruction ? »