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Superprofits autoroutiers : et si l’État reprenait la main ?

Alors que les concessions autoroutières ont généré plus de 56 milliards d’euros de profits depuis leur privatisation en 2006, le ministre des Transports, Philippe Tabarot, défend leur maintien dans le giron privé. Mais un retour au public permettrait de financer la transition écologique et de démocratiser l’accès aux mobilités.

«Il faut acter le “refus de la gratuité généralisée” dans les transports en commun comme sur les autoroutes […] En période de contrainte budgétaire, nous ne pouvons pas nous priver de ces ressources pour développer l’offre.» Les ressources visées par Philippe Tabarot sont celles des concessions autoroutières. Une manne nécessaire donc pour l’Etat mais pas au point de la ramener directement dans son escarcelle. On peut au moins reconnaître la cohérence de cIelui qui déclarait, en 2023, alors qu’il été sénateur et président de la commission de l’aménagement du territoire: «Il ne faut pas faire table rase, mais réformer le système.»

Donc acte. Faisant fi des débats sur la fin progressive des concessions autoroutières, celui qui est depuis fin 2024 ministre des transports plaide pour leur maintien, sous conditions : des contrats plus courts, un contrôle renforcé et une meilleure redistribution des recettes. 

Mais pour nombre d’économistes, de parlementaires de gauche et de collectifs citoyens, cette stratégie revient à prolonger une logique de rente au bénéfice de quelques grands groupes privés. Un système qui, depuis la privatisation des concessions en 2006, a généré des superprofits massifs – au détriment du pouvoir d’achat des usagers et des besoins en financement public pour une mobilité plus durable.

Une rente publique transformée en dividendes privés

En 2023, les sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA) ont enregistré un chiffre d’affaires de 12,3 milliards d’euros, en hausse de 6,3 % par rapport à 2022, largement due à la hausse des tarifs de péage (+4,6 %)². Le résultat net pour cette même année s’élève à 4,4 milliards d’euros, pour des marges opérationnelles (EBITDA) frôlant les 76 % chez Vinci Autoroutes. Autrement dit : pour 100 euros de chiffre d’affaires, près de 76 euros sont conservés après charges d’exploitation.

Depuis 2006, les bénéfices cumulés des concessionnaires sont estimés à plus de 56 milliards d’euros⁴et cette dynamique se poursuit : un rapport du Sénat prévoit plus de 40 milliards d’euros de dividendes distribués aux actionnaires entre 2022 et 2036⁵.

Chez Vinci, l’activité autoroutière représente 9 % du chiffre d’affaires global, mais 43 % du résultat net total⁶. Ces infrastructures, construites avec des fonds publics, sont devenues l’un des secteurs les plus rentables du capitalisme français.

Une logique contraire à l’intérêt général

Plusieurs rapports publics, dont celui de l’Inspection générale des finances (IGF), ont souligné que la rentabilité observée des concessions est bien supérieure aux prévisions initiales⁷. La logique de privatisation, couplée à une faible transparence contractuelle, a permis une inflation continue des bénéfices, en déconnexion totale avec l’intérêt général.

Face à cela, les partis de gauche – dont La France Insoumise, le PCF et le Nouveau Front Populaire – plaident pour un retour en régie publique. Cette réappropriation permettrait de récupérer plusieurs milliards d’euros par an qui seraient injectés dans les transports en commun, le ferroviaire ou la transition écologique⁸. Elle permettrait aussi de moduler ou plafonner les péages, afin d’en finir avec un système injuste pour les usagers, particulièrement dans les zones mal desservies par les autres transports.

Changeons de voie

L’État gère déjà directement environ 5 000 kilomètres d’autoroutes gratuites, dont certaines atteignent un niveau de qualité équivalent aux tronçons concédés⁹. Cette gestion publique démontre que la privatisation n’est ni inéluctable, ni nécessaire à la qualité du service.

Le gouvernement évoque désormais un nouveau cadre de concession, plus court et plus encadré10.Mais ces ajustements laissent inchangé le fond du problème : une rente monopolistique entre les mains de géants du BTP et des fonds d’investissement, déconnectée de l’état d’urgence écologique.

Alors que l’urgence climatique impose une transformation rapide de nos modes de transport, la France continue de subventionner indirectement la route par la captation privée de ses péages.

Un retour des autoroutes dans le giron public ne signifie pas seulement une question de justice économique : c’est un levier concret pour financer les mobilités durables, les trains du quotidien, les RER métropolitains ou encore les pistes cyclables en milieu rural.

Peut-on encore se permettre de laisser filer plus de 4 milliards d’euros par an en dividendes, quand nos infrastructures ferroviaires tombent en ruine et que la voiture reste la seule option pour des millions de Français ?

(Photo Raimond Spekking – CC)

1 – Autorité de régulation des transports (2023) — Bilan annuel des péages et résultats financiers
2 – Vinci Autoroutes — Rapport financier 2023
3 – Reporterre — Superprofits des autoroutes
4 – Sénat — Rapport d’enquête sur les autoroutes (2023)
5 – Le Monde — Mobilité : le poids des autoroutes dans les profits de Vinci
6 – IGF — Rapport sur les sociétés concessionnaires (2023)
7 – Alternatives Économiques — Pourquoi reprendre les autoroutes ?
8 – Sovab Renault — Liste actualisée des autoroutes gratuites en France
9 – Ministère de la Transition écologique — Projet de réforme du modèle de concession
 

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