Superyachts et jets privés : pourquoi il faut les interdire
Une poignée d’ultra-privilégiés émet chaque année autant de carbone qu’un petit pays et profite de failles fiscales pour ne pas en payer le prix. Et ce, pendant que la majorité de l’humanité doit se limiter et subit de plein fouet le déréglement climatique.
Les chiffres ont de quoi faire frémir : selon une étude parue dans Nature, les vols en jets privés ont rejeté environ 15,6 millions de tonnes de CO2 en 2023. Soit 46 % de plus qu’au début de la même étude, en 20191. Si l’on ajoute à ces émissions celles des superyachts, qui oscillent entre 0,3 et 6 millions de tonnes, c’est l’équivalent des émissions annuelles du Kenya ou de la Bolivie que produisent une infime minorité d’ultra-riches.
Des écarts qui défient l’entendement
Un Français émet en moyenne 10 tonnes de CO₂ par an2. Elon Musk en émet près de 5 000 rien qu’avec ses deux jets, soit plus de 1000 fois la moyenne mondiale (4,7 tonnes/an). Si l’on ajoute les émissions moyennes d’un superyacht comme celui de Jeff Bezos, soit près de 7 000 tonnes, l’on dépasse allègrement les deux millénaires d’émission d’un humain ordinaire rien que pour le transport et les vacances de ces messieurs.
Le budget carbone mondial serait épuisé en seulement deux jours si toute la population consommait comme les cinquante personnes les plus riches du monde, ainsi que l’explique l’ONG Oxfam3.
Autre point de comparaison, un vol privé d’une heure émet environ 2 tonnes de CO₂. C’est le budget carbone annuel que chaque Français devrait respecter en 2050 pour limiter le réchauffement à +1,5 °C.
Un luxe fossile financé par la collectivité
Aux États-Unis, une mesure fiscale rétablie en 2025 par Donald Trump permet à une entreprise de déduire 100 % du prix d’achat d’un jet privé dès la première année si l’usage est déclaré comme professionnel4. Cette niche, créée en 2017, devait disparaître progressivement après 2023, mais a été réactivée sous la pression des lobbys.
L’administration fiscale américaine (IRS) affirme vouloir vérifier que ces appareils ne servent pas à des loisirs déguisés en voyages d’affaires. Mais dans les faits, la frontière est floue et les contrôles extrêmement rares.
En Europe, le kérosène utilisé pour l’aviation commerciale est exonéré de taxe. Les vols dits de « plaisance privée » sont exclus en théorie de ce dispositif. Mais dans la pratique, les montages (via sociétés écrans, facturations internes ou contrats de charter) permettent souvent de qualifier un vol de « commercial » même si c’est un voyage personnel. Un vol privé peut, par exemple, bénéficier de cette exonération si l’appareil est affrété par une société à but professionnel.
Yachts et sociétés écrans : le montage parfait
Toujours sur le plan fiscal, la plupart des superyachts n’appartiennent pas directement à leurs propriétaires. Ils sont enregistrés au nom de sociétés écrans, souvent offshore. En les déclarant comme navires commerciaux ou de charter, il est possible d’éviter la TVA sur l’achat et sur les frais d’exploitation. Ainsi, une enquête du Guardian a montré que la flotte de superyachts du milliardaire russe Roman Abramovitch utilisait ce type de montage pour réduire considérablement ses coûts5.
Certains pays vont plus loin : en Italie, par exemple, le carburant pour les yachts enregistrés comme navires commerciaux a longtemps été vendu hors taxe. La Cour de justice de l’UE a cependant jugé ce système illégal en 20216.
Empêchons-les de consumer la planète
Plus généralement, l’on sait les ultra-riches à l’abri des aléas du climat. Ils auront toujours les moyens de trouver un coin du monde où ils ne souffriront pas des effets du dérèglement climatique qu’ils contribuent à accélérer avec leurs modes de vie extravagants.
Pendant ce temps, la grande majorité de la population devra affronter les sécheresses, les inondations, les famines et la hausse des prix alimentaires sans possibilité d’y échapper. Chaque tonne de CO₂ émise aujourd’hui alourdit la facture de demain et chaque niche fiscale qui protège ces loisirs fossiles est une provocation face à l’urgence climatique.
Le bon sens voudrait que l’on interdise les vols en jets privés en développant des solutions attractives par le rail, avec des trajets rapides et confortables.
Quant aux super-yachts, il faut exiger qu’ils soient propulsés par des voiles et auto-alimentés par des énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien marin ou l’hydrogénérateur. Car même s’ils doivent penser le contraire, aucune loi n’interdit aux ultra-riches de montrer le bon exemple.
Les institutions, de leur côté, ne devraient permettre à aucun port d’accueillir un yacht qui brûle du gasoil lourd juste pour déplacer un jacuzzi et un héliport.
Ce n’est pas seulement une question de climat, c’est une question de décence.
(Photos Harrison Tincher, CC et Alexander Migl, CC)
Notes
1- https://www.nature.com/articles/s43247-024-01775-z
2 – https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/chiffres-cles-du-climat-france-europe-et-monde-edition-2024
3 – www.oxfamfrance.org/app/uploads/2024/10/Oxfam_carbon_inequality_full_report_28-October.pdf
4 – One Big Beautiful Bill Act – Dépréciation à 100 %
5 – https://www.theguardian.com/world/2025/jan/28/revealed-how-roman-abramovich-dodged-taxes-on-cost-of-running-his-fleet-of-superyachts
6 – https://www.courthousenews.com/fuel-tax-exemption-for-italian-yachts-ruled-illegal/