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Vacances contre argent : le marché du temps de vie est ouvert

Il y a des projets qui disent tout d’une politique. Dans la foulée des annonces mortifères de François Bayrou , la ministre du travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a évoqué un « travail en cours » sur la monétisation de la cinquième semaine de congés payés. Traduction : on prépare une énorme régression sociale, mais ce sera fait en douceur, et ça passera de manière presque indolore.

Le tout au nom d’une « liberté nouvelle » pour les salariés. Celle de renoncer à leur repos contre quelques billets. Bien sûr, sans obligation. Bien sûr, chacun « choisira ». Mais qui croit encore à ces fables ?

Dans les faits, ceux qui auront réellement le choix sont ultra-minoritaires. Pour les autres — celles et ceux qui vivent avec un demi-SMIC ou des horaires morcelés — ce sera un chantage à peine voilé. Un « choix » dicté par le découvert bancaire, par le crédit conso, par l’angoisse de la fin de mois.

La pression ne sera même pas nécessairement directe. Ce seront les regards, les petites remarques, le chef qui « comprend » mais note tout de même votre manque d’implication. Le contrat qui ne sera pas renouvelé. Le poste qui « sera étudié en interne ». Autrement dit : du travail en plus, sans embauche et sans droits nouveaux.

Cette mesure est particulièrement destructrice pour les familles.
Celles pour qui cette cinquième semaine est parfois la seule occasion de se retrouver, de partir un peu, de passer du temps avec les enfants.

Cette cinquième semaine, comme les quatre précédentes, n’est pas tombée du ciel. Elle est née des luttes. Des grèves de 36, du Front populaire, puis de l’Union de la gauche en 1982. Elle n’est pas un luxe. Elle est un acquis populaire, un temps pour vivre, un minimum vital dans un pays où l’on passe toujours plus de temps à travailler, à se déplacer, à s’user. Et voilà qu’il faudrait y renoncer. Pour gagner un peu plus ? Mais gagner quoi, si c’est pour perdre son équilibre ?

Cette mesure est particulièrement destructrice pour les familles. Celles pour qui cette cinquième semaine est parfois la seule occasion de se retrouver, de partir un peu, de passer du temps avec les enfants. Depuis que le travail le dimanche s’est installé dans les galeries commerciales, les vendeuses, les caissières, les intérimaires voient leurs week-ends fondre.

Ensuite, on fait semblant de s’étonner. Des enfants seuls. Du « recul de l’autorité parentale ». De la « violence des jeunes ». Ceux-là mêmes qui nous parlent à longueur de plateaux de « l’ensauvagement » sont aussi ceux qui s’emploient méthodiquement à détruire tout ce qui permettrait aux familles de tenir debout.

Ce que l’État gagnera en charges patronales, il le perdra en arrêts maladie,
en minima sociaux, en services d’urgence saturés.

Même les cadres n’y échapperont pas. Dans une culture du toujours plus, renoncer à sa cinquième semaine deviendra une norme implicite, une manière de montrer sa loyauté, son ambition, sa motivation. Jusqu’à ce qu’un jour, ils craquent. Burn-out, dépression, divorce. Puis un DRH qui les remplacera sans sourciller.

Économiquement ? À court terme, peut-être que quelques entreprises y trouveront leur compte. Mais moins de congés pris, c’est aussi moins d’embauches, moins de cotisations sociales, plus de précarité. Ce que l’État gagnera en charges patronales, il le perdra en arrêts maladie, en minima sociaux, en services d’urgence saturés.

Face à ce rouleau compresseur, il y a pourtant des alternatives. La CGT, Solidaires, Sud, plusieurs partis de gauche le disent depuis des années : le progrès, c’est la réduction du temps de travail. 32 heures sans perte de salaire. C’est faisable. Avec les gains de productivité des salariés — aidés par l’intelligence artificielle et les technologies d’automatisation — , nous avons les moyens de travailler moins, de travailler tous et de vivre mieux.

Mais ce projet ne verra jamais le jour si nous continuons à accepter que tout soit organisé autour des profits d’une minorité. Chaque attaque du droit au repos est une victoire du capital sur le travail. Chaque recul du temps libre est une avancée de la logique marchande dans nos vies les plus intimes.

Aujourd’hui, le gouvernement nous explique qu’on pourrait « choisir » de sacrifier notre cinquième semaine. Demain, il expliquera que ne pas le faire est un signe de faiblesse. Ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas d’une réforme technique. C’est une offensive idéologique. Et en matière de droits sociaux, en 2025, c’est le XIXe siècle qui est dans leur ligne de mire.

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