La fracture sociale passe aussi par la santé
En France, la santé reste officiellement un droit universel. Dans les faits, elle continue de dépendre fortement de la place que chacun occupe dans la société.
Mal dormir, fumer plus, vivre avec l’anxiété ou la dépression, tomber malade plus tôt et plus gravement. Ces réalités ne se répartissent pas au hasard. Elles dessinent une cartographie sociale précise, où l’état de santé reflète, presque mécaniquement, les inégalités de revenus, de diplômes, de conditions de travail et de genre. Le Baromètre santé 2024 de Santé publique France, qui vient de sortir, ne fait pas que mesurer des comportements ou des pathologies. Il documente, chiffres à l’appui, une fracture sanitaire profonde, persistante et largement prévisible.
Mis à jour tous les deux ans, le Baromètre interroge près de 35 000 personnes sur leurs habitudes de vie, leur santé mentale, leur rapport à la prévention ou encore leurs conditions matérielles d’existence. Pour la première fois, l’édition 2024 permet aussi une lecture régionale fine et intègre des modules inédits sur l’insécurité alimentaire, les discriminations ou l’impact des événements climatiques sur la santé. Autant d’éléments qui déplacent le regard : la santé n’est pas seulement une affaire individuelle, elle est profondément sociale.
Des comportements à risque socialement marqués

Le discours dominant sur la santé publique insiste volontiers sur les choix personnels. Arrêter de fumer, mieux dormir, manger équilibré, bouger davantage. Mais les données du Baromètre rappellent une réalité moins confortable : les comportements dits « à risque » sont d’abord socialement situés.
Le tabagisme touche plus fortement les catégories les plus défavorisées, tout comme les plaintes d’insomnie. À l’inverse, l’alcool et la sédentarité touchent davantage les catégories sociales favorisées. Ces écarts ne traduisent pas une opposition entre populations « responsables » et « irresponsables », mais des modes de vie contraints, façonnés par le travail, le logement, le stress financier ou la disponibilité du temps.
Dormir correctement lorsqu’on cumule horaires décalés, inquiétudes économiques et logements dégradés relève souvent du défi. Réduire sa consommation de tabac quand celui-ci devient un anxiolytique accessible face à des conditions de vie éprouvantes l’est tout autant. Le Baromètre met ainsi en évidence des inégalités de santé qui ne relèvent pas de la morale, mais de la structure sociale.
Santé mentale : la fracture invisible
La santé mentale apparaît comme l’un des révélateurs les plus nets de ces inégalités. Les épisodes dépressifs, les troubles anxieux ou les conduites suicidaires ne frappent pas indistinctement. Ils touchent plus fréquemment les personnes en situation de précarité, celles qui déclarent une situation financière dégradée ou un faible niveau de diplôme.
Ces troubles sont rarement isolés. Ils s’articulent à d’autres difficultés : insécurité alimentaire, exposition accrue aux événements climatiques extrêmes, discriminations vécues au quotidien. En intégrant ces dimensions, le Baromètre 2024 élargit le cadre habituel de la santé publique et rappelle que le bien-être psychique ne peut être dissocié des conditions matérielles d’existence.
Femmes et hommes face à des risques différenciés
Les inégalités de santé sont également genrées. Le Baromètre confirme des écarts persistants entre femmes et hommes, notamment en matière de santé mentale, de troubles du sommeil et de perception de l’état de santé.
Ces différences ne peuvent être comprises sans prendre en compte la charge mentale, les inégalités professionnelles, la précarité plus fréquente ou encore l’exposition accrue aux violences et aux discriminations. Là encore, les données rappellent que les inégalités de genre s’inscrivent durablement dans les trajectoires de santé.
La prévention, angle mort des inégalités de santé
Les résultats du Baromètre santé 2024 montrent que les populations les plus exposées aux risques sanitaires sont aussi celles qui bénéficient le moins efficacement des politiques de prévention.
Campagnes d’information, recommandations nutritionnelles ou dispositifs d’aide à distance restent majoritairement conçus pour des publics déjà informés, disponibles et relativement stables socialement.
À l’inverse, les personnes en situation de précarité cumulent contraintes matérielles, exposition accrue aux risques et éloignement des dispositifs de prévention.
Sans action sur les déterminants sociaux, la prévention peine à réduire les inégalités et risque même de les renforcer.
La santé comme indicateur social
En filigrane, le Baromètre santé 2024 rappelle une évidence trop souvent occultée : la santé est un indicateur social majeur. Elle mesure, mieux que de longs discours, les effets concrets des inégalités économiques, éducatives et territoriales.
Santé publique France affiche l’objectif de mieux comprendre ces inégalités pour mieux les réduire. Reste à savoir si cette connaissance sera suivie d’effets. Car documenter les écarts ne suffit pas. Tant que la lutte contre les inégalités sociales ne sera pas pensée comme une politique de santé à part entière, les chiffres du Baromètre continueront de raconter la même histoire : celle d’une santé inégalement partagée, profondément enracinée dans les conditions de vie.
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