Quand les médias dominants confondent la justice sociale avec la haine de l’autre, ils ouvrent un boulevard au RN.

Ils ne disent plus « extrême droite » et « gauche radicale ». Ils disent désormais « populisme». Un mot-valise, commode, lisse, faussement savant, qui permet de mettre dans le même sac le Rassemblement national et La France insoumise, comme on jette ensemble des objets encombrants dont on ne veut plus s’embarrasser. À force de vouloir jouer les arbitres moraux au-dessus de la mêlée, les grands médias ont choisi la facilité : l’équivalence. Et cette équivalence est une faute politique majeure.

Cette semaine encore L’édito de Françoise Fressoz dansLe Monde en est l’exemple flagrant lorsqu’elle évoque les « néo-populistes contemporains principalement incarnés par Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ». « Flatter le peuple est facile, le servir est beaucoup plus ardu », avance-t-elle pour expliquer que c’est dans cet écart que se jouerait le dernier rempart contre une victoire du RN en 2027. Belle formule. Sauf qu’elle repose sur un contresens volontaire : faire croire que tous ceux qui parlent « au peuple » le flattent de la même manière, pour les mêmes raisons et avec les mêmes objectifs. C’est faux. Radicalement faux.

Comparer le RN et LFI au nom du « populisme », c’est refuser de regarder les faits. Le RN prospère en entretenant des peurs qu’il fabrique et recycle : les immigrés qui « volent le travail », « mangent dans notre assiette », « rendent le pays dangereux ». Il promet protection et souveraineté, mais vote systématiquement contre l’augmentation du SMIC, contre la taxation des superprofits, contre le rétablissement de l’ISF. En bref, contre toute mesure sérieuse de redistribution. Son populisme est un mensonge social habillé de xénophobie, un discours prétendument pro-peuple qui protège en réalité les intérêts économiques dominants.

LFI, qu’on l’apprécie ou non, défend l’exact inverse : la justice sociale, la réduction des inégalités, la régulation du capital, la redistribution des richesses, l’écologie comme horizon collectif. Si être populiste signifie défendre le peuple contre les puissants, alors oui, LFI assume probablement ce populisme-là. Mais le mettre sur le même plan que celui du RN, c’est confondre le projet d’émancipation des vrais partis de gauche avec un programme fondé sur la désignation de boucs émissaires. Ce n’est plus de l’analyse, c’est de l’aveuglement. Et cet aveuglement n’est pas neutre.

En renvoyant dos à dos les « extrêmes », une partie de la presse prétend défendre la démocratie. En réalité, elle crée une nouvelle digue. Celle qui se dresse désormais contre la gauche dite radicale, où l’on trouve aussi le PCF, le NPA et tous ceux qui osent remettre en cause l’idéologie ultralibérale dominante, est plus imposante chaque jour, solidement entretenue par les éditorialistes. Pendant ce temps, la digue censée contenir l’extrême droite a été démontée pierre après pierre par une droite complice, par des lois sécuritaires, par la banalisation des thèmes du RN et par des tribunes qui n’osent plus appeler un programme raciste et antisocial par son nom.

Mettre sur le même plan l’humanisme et la haine, la solidarité et le rejet de l’autre, l’écologie et le nationalisme identitaire, ce n’est pas faire preuve de nuance. C’est produire de la confusion. Et la confusion est toujours profitable à l’extrême droite.

Les médias mainstream aiment se présenter comme les derniers remparts de la raison. Mais à force de moraliser, de lisser sans distinguer, ils cessent d’éclairer. Ils anesthésient. Et dans une époque de fractures sociales profondes, cette anesthésie est « le » danger.