Politique

Politique

Pour Noël, le cadeau empoisonné de Lecornu aux plus précaires

Le projet d’allocation sociale unique risque de compliquer l’accès aux aides et de pousser les plus fragiles vers la pauvreté extrême.

C’est le Premier ministre, Sébastien Lecornu, qui l’avait annoncé lui-même en novembre lors des Assises des département qui se sont tenus à Albi :  le gouvernement va déposer en ce mois de décembre, au Conseil de ministres, un projet de loi créant une « allocation sociale unique », avec une mise en œuvre annoncée dès 2026. L’objectif affiché est désormais bien connu : fusionner le Revenu de solidarité active (RSA), la prime d’activité et une partie des aides au logement en un versement unique, présenté comme plus simple, plus lisible et censé encourager la reprise d’emploi. Une réforme vendue comme technique et rationnelle, mais qui s’inscrit en réalité dans une longue tradition politique consistant à traiter la pauvreté comme un dysfonctionnement individuel plutôt que comme un échec collectif.

Une fausse simplification

L’allocation sociale unique est présentée comme une réponse au non-recours et à la complexité administrative. Mais fusionner des prestations aux logiques radicalement différentes ne simplifie pas l’accès aux droits, il les rend plus opaques. Aujourd’hui, un problème sur le Revenu de solidarité active (RSA) n’affecte pas automatiquement les aides au logement. Demain, dans un système unifié, le moindre bug administratif ou informatique pourra suspendre l’ensemble des ressources d’un foyer. La centralisation transforme une erreur ponctuelle en effondrement total.

Cette réforme ne crée pas un filet de sécurité plus solide. Elle concentre les risques. Et quand tout dépend d’un seul versement, la moindre défaillance devient une catastrophe sociale immédiate.

Quand tout dépend d’un algorithme

L’unification des aides repose sur une automatisation massive du calcul des droits. Les montants seraient ajustés automatiquement en fonction des revenus, de la composition du foyer et de la situation administrative. Sur le papier, le système paraît efficace. Dans la réalité, il est profondément fragile.

Un changement d’adresse mal enregistré, une activité intérimaire oubliée dans les bases de données, une garde alternée non reconnue et l’algorithme tranche sans nuance. Les recours existent, mais ils sont lents, complexes et souvent hors de portée pour des personnes déjà en difficulté. L’expérience montre que l’automatisation n’élimine pas l’injustice, elle l’accélère.

L’exemple britannique ou comment centraliser la pauvreté

Le Royaume-Uni a déjà emprunté cette voie avec le Universal Credit, qui regroupe plusieurs prestations sociales en une allocation unique entièrement numérisée. Les conséquences ont été largement documentées. Des centaines de milliers de ménages se sont retrouvés sans aucun revenu pendant des semaines, parfois des mois, à cause de retards de traitement, d’erreurs de calcul ou de simples anomalies techniques (1). Pour des foyers vivant déjà au jour le jour, ces interruptions ont entraîné des impayés de loyer, des coupures d’énergie et une bascule rapide dans la pauvreté extrême.

Les rapports indépendants soulignent également la disparition progressive des interlocuteurs humains dans les services sociaux britanniques. Résultat : une augmentation du non-recours, une incompréhension généralisée des droits et un sentiment d’abandon massif chez les allocataires (2). Centraliser les aides n’a pas réduit la précarité. Cela l’a rendue plus brutale, plus silencieuse, plus systémique.

Le mensonge de l’« assistanat »

En France, le débat autour de l’allocation sociale unique est déjà saturé par une vieille rhétorique. Certains responsables politiques, comme le LR Laurent Wauquiez, évoquent ouvertement un plafonnement de cette allocation autour de 70 % du Smic, au nom de la lutte contre « l’assistanat ». Comme si le problème central du pays résidait dans des allocataires vivant trop confortablement de minima sociaux.

Les chiffres racontent pourtant une toute autre histoire. Le RSA pour une personne seule s’élève aujourd’hui à environ 568 euros par mois. Même en y ajoutant une aide au logement moyenne, le revenu disponible reste très inférieur au seuil de pauvreté, fixé à environ 1 073 euros mensuels pour une personne seule (3). À l’inverse, un salarié payé au Smic à temps plein dispose d’un revenu net mensuel d’environ 1 400 euros, avant même les éventuelles aides complémentaires.

Les travaux récents de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) sont sans ambiguïté : reprendre un emploi, y compris faiblement rémunéré ou à temps partiel, augmente systématiquement le revenu disponible par rapport à l’inactivité, une fois l’ensemble des transferts pris en compte (4). L’idée selon laquelle rester au RSA serait plus avantageux que travailler relève donc du fantasme politique, pas de la réalité économique.

Une réforme qui rend les perdants invisibles

Le danger principal de l’allocation sociale unique n’est pas seulement budgétaire. Il est démocratique. En fusionnant les aides, l’État se donne les moyens de recalculer les droits de manière globale et discrète. Les baisses deviennent invisibles, puisqu’il n’existe plus de barèmes distincts permettant de comparer avant et après.

Les familles monoparentales, les jeunes en insertion, les personnes en situation de handicap sont les premières exposées à ce type de réforme menée à budget constant. Plusieurs analyses françaises montrent que l’unification des aides crée mécaniquement des perdants, même lorsque le gouvernement promet l’inverse (5). Mais dans un système opaque, ces pertes sont noyées dans une formule incompréhensible, rendant toute contestation plus difficile.

Réformer sans frapper les plus fragiles

La complexité du système social français est réelle. Mais elle n’est pas la cause de la pauvreté. Le vrai problème est le non-recours, la stigmatisation permanente des allocataires et le sous-investissement chronique dans l’accompagnement humain. Simplifier les démarches peut être utile. Simplifier les droits au point de les fragiliser ne l’est pas.

Sous couvert de modernisation, l’allocation sociale unique risque de devenir un nouvel instrument d’austérité, technocratique et silencieux. Une réforme qui ne dit pas son nom, mais qui frappe toujours les mêmes. Pour Noël, le gouvernement promet un emballage neuf. À l’intérieur, c’est encore la même violence sociale.

(Photo DR – CC)

Notes :
 
1 – House of Lords,  Economic Affairs Committee, Universal Credit doesn’t work..
 2 – Amnesty International, UK: Government’s unchecked use of tech and AI systems leading to exclusion of people with disabilities and other marginalized groups.
 3 – Observatoire des inégalités, Minima sociaux : qui touche combien.
 
4 – OFCE – Guillaume Allègre, La reprise d’emploi est-elle toujours rémunératrice ?
 5 – Revenudebase.info, Allocation sociale unique : un décalage entre la promesse de simplification et les enjeux de justice sociale.

Notre site est accessible, sans abonnement, sans mur payant, sans publicité, parce que nous voulons que tous ceux qui le souhaitent puissent lire et partager nos articles.

Mais ce choix a une contrepartie : sans vos dons, déductibles des impôts, Le Nouveau Paradigme ne peut pas exister.

Nous dépendons donc exclusivement du soutien de nos lectrices et lecteurs.

Je fais un don pour LNP

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top