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Froid, rue et indifférence : la France face à son échec moral

Alors que le plan « grand froid » est activé dans une partie du pays, des milliers de personnes continuent de dormir dehors. Un scandale que la gauche entend combattre frontalement, en assumant une idée simple : sans toit ni nourriture garantis, aucune société ne peut se dire humaniste.

Chaque hiver, le même rituel. Le thermomètre chute, les communiqués tombent, les préfectures activent le plan « grand froid ». Depuis mercredi, au moins 23 départements ont déclenché ce dispositif censé protéger les plus vulnérables, en renforçant les maraudes et en ouvrant des places d’hébergement supplémentaires. L’urgence est réelle. Mais elle dit surtout l’échec d’un système incapable d’anticiper, et plus encore d’éradiquer, la misère de la rue.

Car le sans-abrisme n’est ni marginal ni accidentel. En France, environ 330 000 personnes sont aujourd’hui sans domicile, soit une hausse de plus de 130 % depuis 2012 (1). Derrière ce chiffre massif, une réalité encore plus brutale : plusieurs milliers de personnes dorment réellement dehors chaque nuit, faute de places disponibles. En août 2023, plus de 6 000 personnes ont ainsi appelé le 115 sans obtenir de solution d’hébergement (2). Un chiffre qui ne reflète qu’une partie du problème, tant beaucoup renoncent à appeler, par découragement.

Des enfants à la rue, en France, en 2025

La situation est d’autant plus insupportable qu’elle touche de plus en plus de familles. Selon l’UNICEF France et la Fédération des acteurs de la solidarité, au moins 2 159 enfants étaient sans solution d’hébergement à la rentrée 2025, après un appel au 115 (3). Un chiffre en hausse continue depuis trois ans. Des nourrissons, des enfants en bas âge, parfois scolarisés, contraints de dormir dans des voitures, des gymnases temporaires ou directement dans la rue.

Cette précarité tue. En 2024, 912 personnes sont mortes alors qu’elles étaient sans domicile, dont 31 enfants (4). Ces décès ne sont pas des fatalités climatiques : ils sont la conséquence directe de choix politiques. Emmanuel Macron promettait en 2017 qu’il n’y aurait plus personne à la rue « d’ici la fin de l’année ». Huit ans plus tard, la promesse sonne comme une cruelle ironie.

Toulouse, radiographie locale d’un désastre national
  En janvier 2025, la Nuit de la solidarité a recensé 657 personnes sans-abri à Toulouse, soit +30 % en un an. Parmi elles, 228 enfants, dont une cinquantaine de moins de 3 ans. Malgré le doublement des places d’hébergement d’urgence depuis 2018, la rue continue de gagner du terrain. Les associations locales parlent d’un système saturé, incapable de suivre l’explosion des besoins.

Ce que propose la gauche : rompre avec la gestion de la misère

Face à cette situation, les formations de gauche partagent un diagnostic commun : la rue n’est pas une fatalité, mais le résultat d’un renoncement collectif. Le Parti communiste français défend l’inscription du droit au logement dans la Constitution et la création d’un grand service public du logement, capable de produire massivement des habitations accessibles et de sécuriser les parcours résidentiels.

La France insoumise propose un objectif clair : zéro personne à la rue. Son programme prévoit l’interdiction des expulsions sans relogement, l’application réelle du droit au logement opposable et la réquisition des logements vacants, une mesure déjà prévue par la loi mais quasiment jamais utilisée. LFI propose également la construction de 200 000 logements sociaux par an, condition indispensable pour résorber durablement la crise.

Les écologistes défendent une approche convergente : lutte contre la spéculation immobilière, encadrement strict des locations touristiques, rénovation du parc existant et mobilisation immédiate des bâtiments vides. Tous rejettent une logique fondée sur le « mérite » ou la conditionnalité. Avoir un toit et de quoi manger n’est pas une récompense : c’est un minimum vital, un socle sans lequel aucun discours sur la cohésion sociale n’a de sens.

Une question de choix, pas de moyens

Contrairement à ce que répètent les gouvernements successifs, la question n’est pas financière. L’hébergement d’urgence coûte aujourd’hui environ 3 milliards d’euros par an, une somme dérisoire au regard des ristournes fiscales accordées aux plus riches. Surtout, toutes les études montrent qu’un logement stable réduit drastiquement les coûts de santé, de justice et d’urgence sociale.

Comme le résume l’UNICEF France, « Ce qui manque aujourd’hui, ce n’est ni l’argent ni les solutions, mais la volonté politique de mettre fin à l’inacceptable ». Une société qui accepte que des enfants dorment dehors ne peut prétendre défendre la dignité humaine. Garantir un toit et de quoi se nourrir à chacun, sans condition, n’est pas un luxe idéologique. C’est le minimum pour pouvoir encore se regarder en face.

(Photo Benoït Prieur – CC)

Notes
 1 – Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre) – Rapport sur l’état du mal-logement
 2 – Observatoire des inégalités, Hébergement d’urgence / personnes à la rue
 3 – UNICEF France & Fédération des acteurs de la solidarité – Enfants à la rue
 4 – Collectif Les Morts de la rue, bilan 2024 et compteur.


Du centre à l’extrême droite : le grand vide politique

Face au scandale persistant des personnes à la rue, un constat s’impose : du centre macroniste à l’extrême droite, aucune force politique ne porte un projet structuré visant à éradiquer le sans-abrisme. La majorité présidentielle revendique une gestion « pragmatique » fondée sur l’urgence, les dispositifs temporaires et la logique du thermomètre. Mais elle refuse toute rupture avec un marché du logement dérégulé, toute réquisition des logements vacants et toute garantie inconditionnelle d’accès à un toit. Résultat : l’hébergement d’urgence est saturé, les expulsions se poursuivent, et la rue devient un horizon durable pour des milliers de personnes.

À droite, Les Républicains se limitent à des propositions générales sur la construction ou la responsabilité individuelle, sans jamais formuler un plan spécifique contre le sans-abrisme. La question est diluée dans un discours sur l’ordre, la famille ou la propriété, comme si dormir dehors relevait d’un accident marginal et non d’un échec systémique.

Quant à Rassemblement national, il ne propose tout simplement aucune politique publique d’hébergement inconditionnel. La solidarité y est implicitement conditionnée à la nationalité, quand elle n’est pas totalement absente. La misère sociale est instrumentalisée à des fins sécuritaires ou identitaires, jamais traitée comme un problème humain à résoudre.

Ce silence, ou cette dérobade, n’est pas neutre. Ne rien proposer, c’est accepter que des hommes, des femmes et des enfants continuent de dormir dehors. C’est considérer la rue comme une variable d’ajustement. À l’inverse, la gauche assume une ligne de fracture claire : garantir un toit et de quoi manger n’est pas une option idéologique, mais un devoir élémentaire. Une société qui renonce à ce minimum vital renonce, en réalité, à toute prétention humaniste.

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