Appel de Nice contre la pollution plastique : réveil collectif ou simple posture ?
Quatre-vingt-quinze pays exigent un traité contraignant contre le plastique, réclamant des « mesures obligatoires pour bannir les produits plastiques les plus toxiques et les substances chimiques dangereuses ». Pendant ce temps, les géants pétroliers détournent le regard.
Au cœur de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC-3), qui bat son plein à Nice jusqu’au 13 juin, la France et 94 autres nations ont lancé un cri d’alarme baptisé « Appel de Nice ». Leur objectif ? Forcer la signature d’un traité international draconien sur le plastique, imposant une réduction immédiate de la production de polymères primaires. Cette déclaration – assortie d’un engagement ferme, « nous ne lâcherons rien » – constitue une riposte directe à l’obstruction chronique des pays pétroliers, qui sabotent depuis les négociations de Busan (Corée du Sud) toute tentative de limiter la production plastique. Mais au-delà de cette mobilisation diplomatique, l’interrogation cruciale persiste : saurons-nous enfin passer des déclarations aux actes concrets ?
Microplastiques : le poison de notre quotidien
Chaque année, entre 9 et 12 millions de tonnes de plastique contaminent nos océans. Rongés par l’érosion, les UV et le temps, ces déchets se fragmentent en particules microscopiques présentes partout : les microplastiques. Ces derniers infestent désormais toute la chaîne alimentaire, du plancton jusqu’à nos assiettes. Ces particules mortifères, que l’on retrouve dans nos tissus et même dans notre cerveau, naissent de nos emballages, vêtements synthétiques, pneumatiques, cosmétiques et filets de pêche. Autant de symboles d’un modèle industriel et consumériste que l’Appel de Nice dénonce enfin ouvertement. Le verdict tombe comme un couperet : cette catastrophe n’est pas un dommage collatéral, mais le cœur même de la destruction marine.
Les solutions existent pourtant, concrètes et applicables dès maintenant. Remplacer les bouteilles plastiques par des contenants en verre consignés ? Faisable. Imposer des filtres à microfibres sur les lave-linge et dans les stations d’épuration ? Réalisable. Encadrer la production textile pour limiter les rejets de fibres synthétiques ? Possible. Mais ces mesures demeurent facultatives et la mode est plutôt à la « simplification », c’est-à-dire à l’abandon progressif de toutes les normes contraignantes.
La pollution plastique vient à 80% des terres. (Photo Tom Fisk-CC)
Les spécialistes sont unanimes : près de 80 % des plastiques marins proviennent des terres. C’est donc en amont qu’il faut livrer bataille. L’enjeu dépasse largement le traitement des pollutions existantes : il s’agit de bouleverser radicalement nos modèles de production et de consommation. Proscrire les plastiques jetables quand des alternatives durables – réutilisables, consignées ou biodégradables – sont disponibles, développer un recyclage local et responsable, contraindre les industriels à assumer leurs responsabilités : voilà les défis incontournables. Le traité international attendu à Genève en août doit incarner ces exigences, faute de quoi il rejoindra la longue liste des promesses creuses.
Innovation face à l’urgence : ne pas se fourvoyer
Comme un espoir, des technologies révolutionnaires émergent dans la lutte contre les microplastiques : bioréacteurs à membrane pour purifier les eaux usées, ferrofluide magnétique développé par le scientifique irlandais Fionn Ferreira pour capturer les particules polluantes, dispositifs de surveillance marine pour cartographier la contamination. Ces innovations, aussi prometteuses soient-elles, ne doivent pas servir d’alibi à l’inaction. Elles ne sauraient masquer l’urgence vitale : tarir la production plastique à la source.
L’Appel de Nice brise le consensus mou de la diplomatie internationale : 95 pays réclament un objectif planétaire de réduction de la production plastique et tentent de faire sauter le verrou diplomatique avant les négociations de Genève. Mais l’adhésion reste incomplète. Chine, Inde, Brésil et Etats-Unis brillent par leur absence et le succès dépendra de la capacité à convaincre les pays pétroliers. Un traité sans diminution réelle de la production plastique ne serait qu’une mascarade.
Nous voulons croire que l’Appel de Nice engendrera un traité contraignant, imposant des réductions massives partout où des alternatives viables existent déjà. Mais pour ce faire, il faudra avoir le courage d’interdire, de réguler, de transformer de fond en comble. Un échec serait un énorme camouflet pour la diplomatie française, mais rien de bien grave à côté de ce que subissent les océans chaque jour.
Photo de tête signée JB-CC : Une plage en Sierra Leone.