Investir dans l’intelligence : l’autre voie de la compétitivité
Le président de la République et ses Premiers ministres successifs l’appellent tous de leurs vœux : « le choc de compétitivité » doit sauver notre industrie. Pour réussir ce pari, ils font tout pour réduire le coût du travail quand ils devraient miser sur l’excellence.
Lorsque nos dirigeants et les organisations patronales parlent de la compétitivité des entreprises, ils évoquent immédiatement les coûts de production, et donc celui du travail. Or, il existe deux sortes de compétitivité : la compétitivité prix et celle hors prix (ou hors coût). La première, selon la définition qu’en propose le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie est la capacité à « produire des biens et services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente ». Autant dire qu’il est quasi-impossible pour les pays dits « développés », dans une économie mondialisée, de chercher à concurrencer les pays où la main d’œuvre ne coûte presque rien.
Le produit devra donc être différent. Un consommateur est prêt à payer plus cher si ce qu’il achète est de meilleure qualité, dispose d’une technologie novatrice ou d’un design précurseur. Apple, par exemple, a beaucoup misé sur ce type de compétitivité, appelée « hors coût ». La firme de Cupertino fait payer très cher ses produits, mais ses clients sont prêts à les acheter pour leur facteur différenciant. Malheureusement, cet avantage concurrentiel n’empêche pas la société de chercher à produire et à assembler dans les pays aux standards sociaux les plus bas (Chine, Inde). Autre exemple, l’industrie automobile allemande. Contrairement à Apple, ses coûts de production sont élevés parce que la majeure partie des véhicules sont produits en Allemagne. Mais la qualité et l’innovation permanente qui caractérisent des marques comme Audi, Mercedes, BMW, Porsche et même Volkswagen leur permettent tout de même d’être compétitives.
L’industrie automobile allemande a des coûts de production élevés, mais les prix de vente le sont aussi. (Photo CC-PXHere)
Le modèle social peut être un atout
Le Cercle des économistes, pourtant très libéral, estime même que seule cette compétitivité hors prix peut permettre de sauver l’industrie française : « Le positionnement de l’appareil productif sur le haut de gamme permet de dégager plus de valeur ajoutée et de ne pas être en concurrence avec les pays ayant un faible coût de main-d’œuvre. La France, dans son processus de désindustrialisation entamé dans les années 2000, a centré son industrie sur un niveau de gamme moyen avec des prix à la vente élevés. Cette stratégie a fait perdre de nombreuses parts de marché et a amoindri sa compétitivité prix », explique l’économiste Anne-Sophie Alsif. Elle avance qu’ « Un « État compétitif » serait un État augmentant sa compétitivité hors coût à travers une réindustrialisation dans des secteurs à haute valeur ajoutée et une forte hausse de l’investissement en innovation. (…). La France détient de véritables avantages comparatifs mais doit les développer. De fait, la transition écologique doit être considérée comme une véritable opportunité pour la France de se réindustrialiser et de devenir un véritable « État compétitif » ».
Bien sûr, pour ce faire, il faudrait que l’État investisse de façon massive dans l’éducation pour rattraper le retard accumulé ces dernières années en matière de compétences de la population active, ainsi que le confirme un rapport de l’OCDE. Il faudrait aussi que les entreprises françaises investissent plus massivement dans la R&D (Recherche et développement). Des budgets conséquents, mais qui existent si l’on prend en compte les 200 milliards d’aides aux entreprises payées chaque année par l’État (1). Or, ces soutiens financiers visent le plus souvent à faire baisser le coût du travail sans qu’il y ait de réelles contreparties.
La France est à la croisée des chemins. Il y a ceux, de plus en plus nombreux, qui se laissent convaincre que notre modèle social est beaucoup trop coûteux, et donc un sérieux handicap sur une scène économique mondialisée. Pourtant, ce même modèle social peut aussi être vu comme un atout de taille pour attirer ou maintenir sur place une main d’œuvre ultra-qualifiée et capable de transformer l’industrie française. Une industrie qui n’aura pas forcément vocation à faire la guerre aux autres pays sur le terrain de la surconsommation, mais qui pourrait devenir un modèle de production responsable, écologique et socialement novateur. Avec, pourquoi pas, une compétitivité calculée sur ces seuls critères.
(1) 40% du budget de l’État est consacré à l’aide aux entreprises, c’est 2,5 fois le budget de l’Éducation nationale, 5 fois celui de la Transition écologique et 11 fois celui de la Santé et des Solidarités.