Économie

Économie Éditos Politique

Le Sénat enterre un début de justice fiscale : l’abandon scandaleux de la taxe Zucman

Une fois de plus, les élites protègent les élites. En rejetant la taxe Zucman ce jeudi 12 juin, le Sénat français, où la droite est majoritaire, vient de rater une occasion historique de rétablir un minimum de justice dans notre système fiscal. Derrière les arguments techniques se cache une réalité cruelle : nos institutions continuent de servir les intérêts des ultrariches au détriment de l’égalité républicaine.

Les chiffres sont là, implacables et révoltants. Pendant que les Français « ordinaires » consacrent environ 50% de leurs revenus aux impôts et cotisations sociales, les milliardaires français s’en tirent avec seulement 27%. Cette inversion complète de la progressivité fiscale constitue une trahison des principes républicains les plus élémentaires. Comment accepter qu’une caissière paie proportionnellement plus d’impôts que Bernard Arnault ? Comment tolérer que 234 000 ultrariches dans le monde – dont 1 800 en France – continuent d’accumuler des fortunes indécentes (+27% depuis 2019) pendant que nos services publics s’effritent faute de moyens ?

La droite sénatoriale : gardienne des privilèges

Le rejet de la taxe Zucman par la majorité sénatoriale n’est ni une surprise ni un accident. C’est un choix politique assumé de protéger les intérêts de classe. Quand Emmanuel Capus, sénateur Horizons (le parti crée par Edouard Philippe) et rapporteur du texte, qualifie cette mesure « d’économiquement néfaste », il révèle sa véritable nature : celle d’un système qui considère comme « néfaste » toute tentative de faire contribuer équitablement ceux qui profitent le plus de notre organisation sociale. Les arguments brandis sont d’un cynisme confondant. Il est question de « fuite des capitaux »(1) et « d’inconstitutionnalité » pour mieux esquiver le vrai débat : celui de la légitimité morale d’accumulations de richesses aussi obscènes dans une société qui peine à financer ses hôpitaux, ses écoles et ses services sociaux.

L’opposition gouvernementale au texte est incarnée par Amélie de Montchalin, ministre macroniste en charge des comptes publics. Elle dénonce une mesure « confiscatoire ». Confiscatoire ? Une taxe de 2% sur les patrimoines de plus de 100 millions d’euros ? Quand on sait que ces mêmes fortunes croissent souvent de 10, 15 ou 20% par an grâce à la spéculation financière, cette taxe ne représente même pas les miettes de leurs plus-values. L’indécence est à son comble.

L’urgence d’une France pionnière

L’alternative dérisoire proposée par Bercy – un « impôt minimal différentiel » à 0,5% excluant les biens professionnels – confirme que l’exécutif préfère les mesurettes cosmétiques aux vraies réformes. Dix fois moins de recettes, pour continuer à préserver l’essentiel des privilèges fiscaux des plus riches.

Face aux défis climatiques, sociaux et démocratiques de notre époque, la concentration extrême des richesses représente un poison mortel pour nos sociétés, avec le risque évident d’un repli sur soi, d’un rejet de l’autre du côté des plus mal-lotis. La taxe Zucman n’était pas qu’une mesure fiscale : c’était un signal politique fort, affirmant que la France peut encore être pionnière dans la construction d’une société plus juste.

Contrairement aux discours défaitistes sur la « nécessaire coordination internationale », l’histoire nous enseigne que les avancées sociales commencent toujours par des pays précurseurs. La France a bien su imposer la taxation minimale des multinationales, pourquoi ne pourrait-elle pas montrer la voie sur la taxation des ultrariches ?

15 à 25 milliards d’euros sacrifiés sur l’autel du conservatisme

En enterrant la taxe Zucman, le Sénat prive la France de 15 à 25 milliards d’euros annuels qui auraient pu financer la transition écologique, améliorer nos services publics ou réduire les inégalités. Cette somme représente plus de la moitié des 40 milliards que l’exécutif cherche désespérément pour boucler le budget 2026.

Mais au-delà des chiffres, c’est un message dramatique qui est envoyé : dans la France de 2025, il vaut mieux être milliardaire qu’instituteur, héritier qu’infirmière, rentier qu’ouvrier. Le système fiscal français, censé incarner la solidarité nationale, devient l’instrument de sa négation.

Heureusement, comme le rappelle la députée Clémentine Autain, cette taxe « est de plus en plus populaire » et peut encore « gagner une majorité au Parlement ». Le soutien de 60 000 signataires de pétition, l’engagement d’organisations comme Attac et Oxfam et 350.org, l’appui d’économistes reconnus comme Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry(2)montrent que la société civile n’est pas dupe.

La proposition pourra être représentée à l’Assemblée nationale lors de la fenêtre parlementaire d’un groupe d’opposition de gauche. Il faudra alors que chaque député assume ses responsabilités face à l’Histoire : être du côté de la justice fiscale et de l’égalité républicaine, ou du côté des privilèges et de l’accumulation sans limites.

(Photo Sénat-CC)

(1) Une étude, notamment citée par Alternatives Économiques, montre que les hausses d’impôts sur les très riches entraînent très peu d’exil fiscal effectif. Réalisée par l’Institut des Politiques Publiques (IPP), elle souligne que seule une infime partie des très riches migre à l’étranger en réponse à une augmentation de la fiscalité, confirmant des résultats similaires observés au Royaume-Uni, en Suède et au Danemark.
Par ailleurs, la proposition de loi sur la taxe Zucman intègre un mécanisme anti-exil fiscal : les contribuables ayant accumulé leur fortune en France pendant au moins dix ans resteraient imposables dans le pays pendant cinq ans après leur départ, ce qui limite fortement l’intérêt d’un exil fiscal immédiat.

(2) Ils consignent avec Gabriel Zucman une tribune dans Le Monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back To Top