Limiter le réchauffement à +1,5 °C n’est plus possible : le monde bascule dans l’inconnu climatique
Contenir le réchauffement de la planète sous les 1,5 °C est désormais inatteignable. Alors que les puissances économiques persistent dans l’inaction, les risques d’effondrement climatique se précisent. Il est urgent de rompre avec l’économie fossile et de changer radicalement de cap.
Une vaste étude internationale, publiée le 19 juin dans la revue Earth System Science Data, vient confirmer ce que de nombreux climatologues redoutaient : l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle n’est plus atteignable. À l’appui de cette conclusion, un état des lieux complet du climat mondial, cosigné par 61 scientifiques issus de 17 pays — dont des chercheurs du CNRS et de Météo-France — qui met à jour les principaux indicateurs climatiques du GIEC avec des données récentes.
Ce tableau clinique du réchauffement mondial est sans appel. La décennie 2015-2024 affiche un réchauffement moyen de +1,24 °C. L’année 2024 elle-même franchit un seuil inédit avec un réchauffement de +1,52 °C. Il s’agit de la première année civile où la planète dépasse durablement ce cap. Plus alarmant encore, le rythme de progression s’accélère : +0,27 °C par décennie. Nous assistons à un emballement sans précédent.
Une trajectoire politique suicidaire
Alors que les signaux d’alerte s’accumulent, les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent de croître. Avec 53,6 milliards de tonnes de CO₂ équivalent rejetées chaque année en moyenne depuis 2014, l’humanité épuise en temps réel le peu de « budget carbone » qu’il lui restait. À ce rythme, le quota compatible avec un maintien à +1,5 °C sera dépassé en moins de trois ans.
Face à une situation aussi critique, les réponses politiques sont, au mieux, totalement insuffisantes. Aux États-Unis, le retour de Donald Trump à la Maison Blanche envoie un signal désastreux : démantèlement des réglementations environnementales, relance des projets pétroliers et gaziers, paralysie des négociations internationales. En Europe, malgré les discours de façade, les ambitions climatiques se diluent sous la pression des lobbys industriels. En France, la loi Climat est réduite à une série de mesurettes, incapables d’enclencher la transformation systémique qui s’impose.
Partout, les intérêts fossiles poursuivent leur offensive et les gouvernements cèdent à l’économie de court terme. Il serait presque amusant, si ce n’était si dramatique, d’entendre nos gouvernants faire la leçon pour ne pas laisser de « dette financière » aux générations futures alors qu’ils sont en train de générer une « dette environnementale » que personne ne pourra jamais rembourser.
Des risques systémiques pour les peuples
Le franchissement du seuil de +1,5 °C n’est pas qu’un symbole : c’est l’entrée dans une ère de risques incontrôlables. Plus le réchauffement s’intensifie, plus la probabilité de déclenchement de « points de bascule » irréversibles augmente. Fonte accélérée des calottes polaires, effondrement des glaciers, ralentissement des courants océaniques, destruction massive des écosystèmes : autant de ruptures qui pourraient bouleverser durablement l’habitabilité de la planète.
Pour les populations humaines, les conséquences sont lourdes. Les canicules extrêmes deviendront plus longues et plus meurtrières. Les incendies géants, les sécheresses prolongées et les inondations catastrophiques se multiplieront. L’élévation des océans, déjà mesurée à +23 centimètres depuis 1901, continuera à menacer les zones côtières. L’agriculture sera confrontée à des stress hydriques croissants, provoquant des crises alimentaires et des tensions géopolitiques. À cela s’ajouteront des déplacements massifs de populations : des millions de réfugiés climatiques contraints de fuir des territoires devenus invivables.
Rompre avec le déni et passer à l’action
Face à cette réalité, les discours rassurants sur des solutions technologiques miracles, comme la capture massive de CO₂, relèvent de l’illusion. Les demi-mesures ne suffiront pas. Nous n’avons plus le choix : sortir des énergies fossiles, transformer nos systèmes de production, repenser nos modèles économiques sont des impératifs vitaux.
Limiter l’ampleur du désastre reste possible. Mais pour cela, il faudra affronter les intérêts en place, rompre avec le dogme de la croissance infinie et engager une transformation radicale, démocratique et solidaire.
(Photo Olivier Poisson)