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Psychiatrie : soigner sans moyens, la pensée magique du gouvernement

Le gouvernement promet de structurer l’offre de soins, de renforcer l’attractivité du secteur et de former massivement au repérage précoce des troubles psychiques. Mais cette ambitieuse feuille de route se présente sans financement supplémentaire.

«  Réparer » la psychiatrie publique en agissant depuis la base : école, médecine générale, centres médico-psychologiques. C’est le plan d’action dévoilé le 11 juin par le ministre délégué à la Santé, Yannick Neuder. Une annonce faite dans un contexte de vive émotion, au lendemain du décès d’une surveillante de collège âgée de 31 ans, poignardée à mort par un élève de 14 ans. Un drame révélateur des failles persistantes dans le repérage précoce de la souffrance psychique chez les jeunes.

Le programme présenté à l’assemblée nationale repose sur trois axes : repérer, soigner, reconstruire. Parmi les mesures phares : le doublement du nombre de psychologues dans le dispositif « Mon soutien psy », la suppression du numerus apertus pour les internes en psychiatrie, la création de stages obligatoires dans tous les cursus médicaux et paramédicaux et une vaste campagne de formation aux « gestes de secourisme en santé mentale », censée toucher 300 000 personnes. Un accès facilité aux centres médico-psychologiques (CMP) est également prévu, avec un « coupe-file » pour les jeunes identifiés en détresse.

Face à la crise chronique, pas de nouveau budget

Mais derrière cette promesse de refondation, le plan donne l’impression d’une structure sans fondations. Le ministre a reconnu qu’aucun budget additionnel ne serait alloué. Tout devra être financé à enveloppe constante, alors que la psychiatrie publique est déjà en crise chronique : personnels à bout de souffle, délais d’attente interminables, effondrement de la pédopsychiatrie.

Un rapport parlementaire remis en décembre 2024 par les députées Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau à la commission des Affaires sociales dressait un tableau accablant. Il soulignait notamment la saturation des urgences psychiatriques, l’afflux inadapté de patients dans les services hospitaliers généraux et la disparition progressive des lits en pédopsychiatrie — divisés par deux en quinze ans. Le texte appelait à une refonte globale du parcours de soins, à une clarification des responsabilités, à l’ouverture de centres de crise fonctionnant 24h/24 et à une coordination renforcée entre médecine de ville, hôpital et secteur médico-social.

Certaines annonces du gouvernement reprennent ces recommandations, notamment en matière de formation et d’organisation autour des CMP. L’objectif de prévention, mis en avant comme un levier prioritaire, est salué.

Des professionnels sceptiques face à la faisabilité

Mais les retours du terrain sont bien plus réservés. Du côté des soignants, la prudence domine. Les syndicats hospitaliers accueillent positivement la suppression du numerus apertus, mais dénoncent une réforme déconnectée des réalités humaines : comment accueillir plus d’internes si les équipes sont déjà exsangues ? Comment former sans encadrants disponibles ?

Chez les psychologues, l’inquiétude grandit. Le dispositif « Mon soutien psy » pourrait rester symbolique si les rémunérations ne sont pas revalorisées et les conditions d’exercice révisées en profondeur.

Dans l’Éducation nationale, on reconnaît l’importance du rôle de l’école dans le repérage, mais on regrette un manque de clarté. À moins de trois mois d’une nouvelle année scolaire, les rectorats ignorent toujours qui formera les enseignants, selon quelle méthode, ni comment articuler ces actions avec les dispositifs existants dans les établissements.

Plus troublant encore : la crise des urgences psychiatriques reste sans réponse claire. Les propositions du rapport parlementaire — responsabilisation des agences régionales de santé, mobilisation des cliniques privées, accès structuré via le SAS (service d’accès aux soins, ex-15) — sont absentes des annonces. Quant à la pédopsychiatrie, pourtant pointée comme le maillon le plus critique du système, elle est à peine mentionnée.

L’initiative pourrait être perçue comme un virage. Mais sans financement dédié, sans calendrier précis ni pilotage structuré, ce plan risque de se heurter à la réalité : celle de professionnels déjà épuisés, d’enfants en souffrance abandonnés à des files d’attente de plusieurs mois et de structures au bord de la rupture.

La « mobilisation générale » invoquée par le ministre ne suffira pas. Ce qu’il faut, c’est un choix politique clair : investir massivement dans la santé mentale, renforcer la gouvernance publique et replacer la psychiatrie au cœur de notre pacte social.

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