Trois fois plus addictif que la nicotine, le nouveau leurre de l’industrie du tabac
Parfums fruités, designs ludiques, promesses d’innocuité : les nouveaux produits de vapotage et les “pouches” séduisent une jeunesse en quête de nouveauté. Derrière cette façade inoffensive se cache la 6-méthyl-nicotine, une molécule hyper addictive, qui défit la réglementation.
Raisin glacé, mangue fraîche, cerise glacée, fraise givrée ou cola frais : il ne s’agit pas ici de noms de glaces ni de bonbons, mais de parfums de liquides pour cigarettes électroniques ou encore de « pouches », ces petits sachets à sucer ou mâcher en les plaçant entre la joue et la gencive. Les packagings colorés visent sans ambiguïté leur public : les jeunes. Avec un argument de poids pour rassurer les parents : ces produits sont sans nicotine. Sans nicotine, oui, mais à base de 6-méthyl-nicotine (également appelée métatine). Une substance analogue à la nicotine « aupotentiel addictif élevé, pouvant atteindre jusqu’à 3,3 fois celui de la nicotine selon des études précliniques. Elle pourrait également augmenter la production de dopamine, renforçant l’addiction. De plus, cette molécule favorise le développement d’espèces réactives de l’oxygène dans les cellules pulmonaires, associées à des réactions inflammatoires et à des dommages cellulaires. Son impact à long terme reste inconnu », alerte le Comité national contre le tabagisme (CNCT) en amont de la Journée mondiale sans tabac qui se tiendra le 31 mai.
Dans le viseur de sa campagne « le goût du mensonge », le CNCT vise donc la 6-méthyl-nicotine, une substance qui est l’incarnation du cynisme du secteur du tabac. Des industriels capables d’investir dans la recherche pour trouver une substance à la double vertu, créer une addiction en allant chercher les non-fumeurs ou les personnes qui ne désirent pas consommer de nicotine et contourner les réglementation anti-tabac qui se renforcent. Des réglementations qui semblent d’ailleurs porter leurs fruits puisque le tabagisme quotidien a chuté de 10 points en 5 ans chez les jeunes, qui sont encore malgré tout 15 % à fumer à 17 ans. Un manque à gagner que l’industrie du tabac s’évertue à combler en misant notamment sur son nouveau produit miracle.
La « caution » des influenceurs
Ces petits sachets de nicotine, ou de métanines, appelés « pouches », se placent contre la gencive et libèrent leur contenu directement dans l’organisme. Le tissu perméable qui les compose est fait de fibres polymères imbibées de nicotine et d’arômes. (Photo L.V. Olavi Rantala)
Pour parfaire son attractivité, elle met aussi la technologie au service de l’addiction. Les cigarettes électroniques connectées, dites « smart vapes », intègrent des fonctionnalités ludiques : écran tactile, animal virtuel à nourrir par la consommation, jeux type Tetris ou concours de bouffées… autant de mécanismes conçus pour inciter à vapoter davantage, plus tôt et plus souvent.
Ces innovations camouflent une réalité sanitaire inquiétante : chaque bouffée devient un geste récompensé, chaque inhalation un levier de fidélisation. En alignant ses produits sur les codes du jeu vidéo et des réseaux sociaux, l’industrie parvient à faire de l’usage de nicotine, ou de son dérivé, un acte de consommation fun, maîtrisé et désirable.
La magie du marketing fait le reste avec le relais aussi enthousiaste que coupable d’influenceurs vantant les mérites de ces produits, avec ou sans nicotine, sur leurs réseaux. D’après un rapport de l’Alliance contre le tabac (ACT), ce sont au total 229 influenceurs qui, à travers 948 posts entre 2019 et 2024, ont mis en avant des dispositifs de vapotage et des sachets de nicotine auprès de la communauté francophone d’Instagram. Plus de 24 millions de personnes ont été touchées par ces publications.
La législation à revoir
Une promotion interdite par la loi de modernisation du système de santé de 2016, qui complète la loi Evin. Elle a en effet étendu l’interdiction de publicité aux dispositifs de vapotage et aux flacons de recharge contenant de la nicotine. C’est sur cette base juridique, au titre de la publicité illicite, que le CNCT annonce qu’il va engager une procédure en justice à l’encontre du fabricant Aroma King, qui commercialise des produits contenant de la métatine.
Le CNCT plaide d’ailleurs pour une extension de cette réglementation qui s’appliquerait à toute substance exerçant un effet pharmacologique sur les récepteurs nicotiniques, qu’elle contienne ou non de la nicotine au sens strict.
L’alerte est lancée, mais combien de temps faudra-t-il au législateur pour réagir ? Pendant ce temps, l’industrie du tabac fait du « sans nicotine » son argument phare pour séduire de nouveaux publics. Le consommateur, qui a l’illusion de faire le bon choix, est floué, la loi contournée et cette molécule de synthèse peut faire son travail d’addiction en toute tranquillité. Et dans cette course contre la montre, la santé publique est toujours perdante.
Photo du haut : A l’image de la campagne d’informations lancée par le Comité national contre le tabagisme (CNCT), cette année, la Journée mondiale sans tabac est placée sous le thème « Levons le masque ! ». Le but est de mettre au jour les stratagèmes des industries du tabac et de la nicotine pour rendre leurs produits plus attrayants, en particulier pour les jeunes. (Photo CNCT)