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Contre la retraite à deux vitesses : défendre et améliorer la répartition

Édouard Philippe a évoqué sur France Inter son projet d’introduire 15% de capitalisation dans le système des retraites. Une idée qui pourrait faire consensus chez tous les libéraux, depuis Renaissance jusqu’à l’extrême-droite

15 % de capitalisation dans notre système de retraite, comme en Allemagne, en plus d’une nouvelle hausse de l’âge de départ. Et ce ne serait qu’un début. Il y a des déclarations qui révèlent une vision de société. Ce mercredi 4 juin, sur l’antenne de France Inter, Édouard Philippe a franchi un nouveau cap dans le démantèlement méthodique de notre pacte social républicain. Et de Bayrou à Marine Le Pen, qui pourrait lâcher sur le sujet sa base populaire pour se plier à ses penchants libéraux, la proposition pourrait rallier une large majorité. D’autant plus que le Medef fait un intense lobbying en ce sens. 

Cette « solution » pour réduire les déficits dessine les contours d’un système où chaque salarié serait incité — voire contraint — à épargner individuellement sur des supports financiers, en complément de ses cotisations au régime général. Le message sous-jacent est limpide : la retraite deviendrait une affaire privée, où chacun se débrouillerait selon ses moyens, au gré des fluctuations boursières et des aléas des marchés.

Nous voici face à l’esquisse d’une retraite à deux vitesses : l’avenir des Français serait confié à BlackRock plutôt qu’à la solidarité nationale. Cette vision n’est pas seulement injuste : elle est économiquement dangereuse et démocratiquement régressive.

Selon une vision erronée, chaque cotisant épargnerait pour « sa retraite » durant sa carrière avant de « récupérer sa mise ».

Confier notre protection sociale à des fonds de pension ou à des gestionnaires privés revient à abandonner notre destin collectif aux caprices des marchés financiers. L’histoire récente nous rappelle pourtant les dangers de cette approche : les crises de 2008 et de 2020, les scandales Enron et Lehman Brothers ont ruiné des millions de retraités américains qui avaient misé sur la capitalisation. Cette épargne ne protège pas les citoyens : elle transfère simplement le risque du collectif vers l’individu. Quand la bourse s’effondre, ce sont les retraites qui plongent avec elle. Cette logique s’avère d’autant plus périlleuse dans un contexte de marchés de plus en plus instables, au sein desquels les impératifs climatiques, sociaux et financiers entrent régulièrement en contradiction. Surtout avec un Trump au pouvoir.

Déconstruire le mythe : la répartition n’est pas une épargne individuelle

Un mythe tenace, soigneusement entretenu par les partisans des réformes libérales, voudrait faire croire que le système par répartition constitue une forme déguisée de capitalisation. Selon cette vision erronée, chaque cotisant épargnerait pour « sa retraite » durant sa carrière avant de « récupérer sa mise ».

Cette interprétation trahit une méconnaissance fondamentale du principe de répartition. Dans notre système actuel, les actifs d’aujourd’hui financent les retraités d’aujourd’hui, et ce seront les actifs de demain qui assureront les pensions de demain. Il s’agit d’un pacte de solidarité intergénérationnelle, fondé sur la confiance mutuelle, la croyance dans le progrès et une logique de partage collectif. 

L’épargne privée existe déjà…

Transformer ce système en mécanisme de capitalisation reviendrait à briser ce lien entre les générations et à faire de la retraite une compétition entre ceux qui disposent des moyens d’épargner, d’investir ou d’hériter et tous les autres (1).

La réalité, c’est que les Français qui en ont les moyens peuvent déjà diversifier leur épargne retraite : investissements immobiliers, assurances-vie, plans d’épargne retraite (PER) constituent autant d’options disponibles. Mais faut-il pour autant ériger cette possibilité en pilier de notre système de protection sociale ?

Une telle évolution institutionnaliserait les inégalités : ceux qui disposent de revenus suffisants pour placer leur épargne consolideraient mécaniquement leur future retraite, tandis que les autres — intérimaires, femmes aux carrières hachées, travailleurs précaires — se verraient condamnés à des pensions insuffisantes ou contraints de travailler jusqu’à l’épuisement.

Une alternative progressiste : renforcer et améliorer la répartition

Face à cette dérive néolibérale, des solutions alternatives existent. La gauche, dans sa diversité, a développé depuis longtemps des propositions concrètes et soutenables pour consolider le système actuel. 

À commencer par la remise en question desexonérations massives de cotisations patronales qui coûtent chaque année des dizaines de milliards d’euros à notre système de protection sociale. Et qui sont loin d’être toutes efficientes. Les plus radicaux entendent diversifier les ressourcesen instaurant une taxation des dividendes, des superprofits et des hauts revenus, tout en étudiant une contribution sur l’automatisation et la robotisation. Ils espèrent aussi une meilleure intégration des hauts revenus dans les cotisations, aujourd’hui artificiellement plafonnées. 

Les partis de gauche veulent aussi prendre véritablement en compte la pénibilité et les carrières longues pour une reconnaissance équitable du travail accompli.

Mais à l’arrivée, l’idée la plus importante reste de créer de l’emploi de qualité, car c’est là la clé d’un régime équilibré : plus d’actifs signifie mécaniquement plus de cotisations et un système plus robuste.

Un choix de civilisation, pas un simple arbitrage technique

La question des retraites dépasse largement les considérations budgétaires. Elle révèle la manière dont une société conçoit ses rapports intergénérationnels, sa vision du travail et sa conception de la solidarité. Elle nous interroge sur le type de communauté que nous voulons construire : une société solidaire ou un archipel d’individus isolés, mis en concurrence dès leur plus jeune âge jusqu’à leur mort.

La capitalisation constitue une impasse à la fois sociale et écologique. Face au vieillissement démographique, notre époque a besoin de renforcer les liens de solidarité, pas de les remplacer par la spéculation financière. Le défi est de taille, mais les solutions existent. Encore faut-il arrêter de faire croire que le vrai courage réside dans le fait de remettre en question notre système social pour mieux le démolir. C’est malheureusement ce que les ultra-libéraux font le mieux.

(1) A lire aussi, l’analyse d’Audrey Fisné-Koch dans Alternatives Économiques.

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