Éditos

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Pourquoi il est urgent de réconcilier la gauche et la police

C’est là le véritable péché originel. Dans une société basée sur la domination, la gauche contestataire a toujours remis en cause le système en raison de son essence inégalitaire. Elle ne peut donc s’entendre avec ceux dont la mission est de le protéger, parfois de la manière la plus dure.

Encore aujourd’hui, lorsqu’éclatent des débordements — à la suite d’une manifestation ou, comme récemment, après la victoire du PSG en Ligue des champions — les journalistes s’empressent de mettre les représentants de la gauche face à leurs contradictions, en leur demandant de condamner fermement les violences. Tout en guettant, avec une certaine gourmandise, leur dénonciation des éventuels excès des forces de l’ordre.

La caricature n’est jamais loin : les franges les plus radicales de la gauche ne verraient dans la police qu’une milice « fascisante », instrumentalisée par des gouvernements de plus en plus autoritaires et attendant avec espoir l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. En retour, de nombreux membres des forces de l’ordre nourriraient un profond mépris envers cette gauche, perçue comme trop laxiste à l’égard des délinquants, et toujours prompte à remettre en question l’action policière.

Cette polarisation alimente une croyance populaire tenace : la gauche serait systématiquement « anti-flics », protectrice des « racailles », tandis que la droite — et plus encore l’extrême droite — incarnerait le soutien inconditionnel aux forces de l’ordre.

Et s’il ne s’agissait, de part et d’autre, que d’une erreur d’appréciation ?

Il est vrai que la gauche a toujours eu des difficultés à s’emparer de la question de la sécurité. C’est regrettable, d’autant plus que les premières victimes de l’insécurité sont, de loin, les catégories les plus populaires. Un constat depuis longtemps intégré par le Front national, puis le Rassemblement national, qui a su progressivement séduire des territoires historiquement ancrés à gauche, en cultivant la peur et le rejet de l’autre.

Une logique uniquement répressive ne règle rien. Elle nourrit même les ressentiments, surtout lorsqu’elle s’exerce sans politique sérieuse de réinsertion. Et dans une société aussi inégalitaire que la nôtre, il faudrait toujours plus de forces de l’ordre pour traquer toujours plus de contrevenants.

C’est là une erreur historique des femmes et des hommes politiques de gauche. En refusant de pointer du doigt les délinquants — souvent perçus, à juste titre, comme les produits d’une société malade —, ils ont fini, aux yeux des victimes, par apparaître comme complaisants, voire complices. Pourtant, nommer un délinquant ne signifie pas renoncer à l’accompagner vers la réinsertion.

Mais avant d’en arriver là, la gauche a beaucoup de bonnes idées en matière de sécurité. Elle porte notamment une approche fondée sur la prévention. Un domaine dans lequel la police aurait toute sa place. Car s’il faut effectivement renforcer les moyens des associations et des travailleurs sociaux pour détecter précocement les difficultés rencontrées par les familles, la police de proximité constitue également un levier essentiel. Instaurée sous Lionel Jospin, puis supprimée par Nicolas Sarkozy, elle visait à réintégrer les policiers dans la vie quotidienne des citoyens. Le policier devenait un repère, à l’image du facteur ou de l’enseignant : un voisin, un acteur social à part entière et non plus seulement une figure répressive apparaissant lors des conflits. Pour certains jeunes, il pouvait même jouer un rôle de référent, capable de les alerter, de manière bienveillante, lorsqu’ils s’engageaient sur une mauvaise voie.

Au lieu de cela, l’État a progressivement abandonné ces missions de proximité, réduisant ses services publics, laissant le terrain libre aux trafics ou à certaines mouvances religieuses extrémistes, promptes à encadrer des jeunes livrés à eux-mêmes.

La gauche défend aussi une vision profondément différente de la répression. Là où certains prônent une réponse exclusivement coercitive, elle cherche à comprendre les causes des dérives pour mieux les prévenir. Car une logique uniquement répressive ne règle rien. Elle nourrit même les ressentiments, surtout lorsqu’elle s’exerce sans politique sérieuse de réinsertion. Et dans une société aussi inégalitaire que la nôtre, il faudrait toujours plus de forces de l’ordre pour traquer toujours plus de contrevenants.

En ce sens, les policiers auraient tout intérêt à prêter attention aux propositions de la gauche. Celle-ci ne prétend pas résoudre les dysfonctionnements sociaux à coups de matraque. Elle ambitionne au contraire de combattre les inégalités systémiques et d’offrir d’autres perspectives que la délinquance aux jeunes les plus fragiles. La police et la gendarmerie, qui pourraient bénéficier d’un renforcement significatif de leurs effectifs dans le cadre des programmes de redynamisation des services publics, resteraient des piliers indispensables de l’État. Mais elles ne seraient plus les seules réponses. Allégées d’une partie de leur pression, ces institutions pourraient à leur tour évoluer : transparence, encadrement de l’usage de la force, contrôle indépendant… autant de réformes permettant de restaurer la confiance avec l’ensemble des citoyens.

Quant au péché originel, il ne saurait être accepté comme une fatalité. Car une société plus juste génère moins de tensions et requiert moins d’appareils de maintien de l’ordre. Ce jour-là, ceux qui hier se toisaient comme des adversaires pourraient enfin œuvrer ensemble.

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