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Et pourquoi pas une Sécurité sociale de l’alimentation ?

Alors que les repas se prennent de plus en plus seuls et que la précarité alimentaire progresse, la Sécurité sociale de l’alimentation propose une réponse ambitieuse : rendre accessible à tous une alimentation choisie, saine, durable et solidaire.

En France, l’alimentation, autrefois facteur de convivialité et de lien social, se fragmente et s’individualise. Selon une rapport de la Fondation Jean-Jaurès, La France à table, 43 % des Français dînent seuls, 37 % doivent restreindre leurs dépenses alimentaires et 41 % des 18-24 ans vivent dans l’insécurité alimentaire. Parallèlement, un tiers des adultes est en surpoids ou obèse, tandis que la consommation de bio recule face à la pression des prix.

Ce constat illustre la crise profonde d’un modèle alimentaire industriel fondé sur l’abondance, l’ultra-transformation et le marketing agressif qui a bouleversé nos repères. Manger est devenu un acte souvent solitaire, contraint et parfois source de culpabilité.

L’hypocrisie d’un système à bout de souffle

Loin d’être un simple choix individuel, bien manger est un enjeu collectif. Pourtant, l’hypocrisie domine : on vante le Nutri-Score dans des rayons où les choix sont limités, on glorifie la transition écologique sans remettre en cause le pouvoir des agro-industries et on laisse les agriculteurs sous-payés face à la dictature des grandes surfaces.

Face à ces défis, la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) s’impose comme une alternative structurante, portée par des collectifs, des chercheurs et des acteurs de terrain. Inspirée du modèle de la Sécurité sociale de 1945, elle repose sur trois piliers : l’universalité, via un budget alimentaire mensuel de 150 euros par personne, attribué en monnaie dédiée ; le financement par cotisation sociale, pour garantir un système solidaire, autonome et pérenne ; une gouvernance démocratique, avec des caisses locales composées de citoyens, de producteurs et d’usagers.

Ces caisses choisiraient les structures conventionnées (paysans, artisans, coopératives, épiceries engagées) selon des critères sociaux, écologiques et nutritionnels. L’argent ne financerait plus les grandes multinationales, mais soutiendrait une transition agricole respectueuse des humains, du vivant et de la planète.

Des expérimentations prometteuses

Des initiatives locales à Bordeaux, Montpellier, Rennes, Lyon, Paris et Clermont-Ferrand démontrent la faisabilité du projet. À Clermont-Ferrand, une caisse alimentaire a redistribué 100 000 € en impliquant activement les citoyens. À Lyon, un collectif teste une monnaie alimentaire dédiée. Ces expériences montrent qu’il est possible de réinventer la chaîne alimentaire en privilégiant solidarité, qualité et démocratie.

Le 15 octobre 2024, une proposition de loi expérimentale a été déposée à l’Assemblée nationale par le député écologiste Charles Fournier, avec 88 cosignataires issus de l’ex NUPES. Ce texte visait à créer des caisses locales, à garantir des prix rémunérateurs aux producteurs et à attribuer à chaque citoyen une dotation mensuelle de 150 euros pour consommer dans des structures éthiques.

La loi prévoyait un budget de 162 millions d’euros par an, un fonds national d’expérimentation piloté par la Caisse des Dépôts et une gouvernance partagée entre citoyens, élus et professionnels. Elle a été adoptée en commission des affaires économiques en février 2025.

Mais lors de son passage en séance publique le 20 février 2025, le texte a été écarté sans vote, relégué derrière les débats budgétaires du projet de loi de financement de la Sécurité sociale  et le passage en force du gouvernement via l’article 49.3. Depuis, la proposition est gelée, bloquée par les priorités de l’exécutif et la pression discrète mais réelle de l’agro-industrie. Une mobilisation parlementaire existe, mais elle peine à percer le mur du conservatisme économique.

Le choix d’un modèle de société

En faisant de l’alimentation un droit, non un marché, la sécurité sociale de l’alimentation bouleverserait les équilibres actuels. Il s’agit de redonner du pouvoir aux consommateurs, de reconstruire des solidarités territoriales entre les producteurs et ces mêmes consommateurs et de sortir de la culpabilisation individuelle pour penser des solutions collectives.

Face à la domination des industriels, des plateformes de livraison et à la précarité grandissante, deux voies s’offrent à nous : laisser notre assiette aux mains du marché ou reprendre collectivement la main pour nourrir une société plus juste, durable et démocratique.

La Sécurité sociale de l’alimentation incarne une réponse innovante et nécessaire aux fractures alimentaires et sociales françaises. Elle propose de remettre du commun dans nos assiettes, en garantissant un droit universel à une alimentation choisie, saine et durable.

Si le chemin législatif est aujourd’hui suspendu, les expérimentations locales et la mobilisation citoyenne montrent que ce projet est loin d’être une utopie : c’est une urgence sociale et écologique à laquelle il faut donner corps.

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